Annales des Mines (1912, série 11, volume 2) [Image 71]

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DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

DISCOURS DE M. LIPPMANN Président de l'Académie des Sciences.

Messieurs, Nous ne savions pas que notre illustre confrère fût en danger et la fatale nouvelle éclata comme un coup de foudre : « Henri Poincaré n'est plus ! » Voilà qui est vite, fait ; voilà qui est vite dit. C'est la plus brillante de nos gloires qui disparaît, et du même coup c'est un confrère simple et bon que nous perdons. Son puissant cerveau a eu toutes les curiosités, et les sciences dont il s'est occupé lui doivent toutes quelques progrès. Sa grandeur comme mathématicien ne peut être appréciée que par les mathématiciens. Mais en même temps l'astronomie théorique lui doit l'extension de ses méthodes d'analyse. Poincaré a perfectionné l'outillage de la physique mathématique, et s'il avait eu le temps de s'occuper de physique expérimentale, je pense qu'il se fût mis au premier rang. Il a su donner à Henri Becquerel de fructueuses suggestions,, dont Becquerel lui resta toujours profondément reconnaissant. Poincaré maniait avec une si prodigieuse aisance toutes les formes mathématiques, qu'il s'est trouvé toutnaturellement amené à nous donner des considérations générales sur la théorie des sciences, sur le rôle de l'hypothèse et le contenu des découvertes. Il s'est donc révélé philosophe; et sa philosophie, qui implique une profonde connaissance delà mécanique de la physique mathématique, qui est une des plus abstruses et des plus inaccessibles que l'on peut trouver, est par surcroît devenue populaire :. ce qui montre combien elle est difficile à comprendre. Henri Poincaré est entré à l'Académie des Sciences en

DE M. HENRI POINCARÉ

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4887 . Il a publié, on le sait, une série de précieux volumes sur la théorie de la probabilité, sur l'électricité et l'optique, sur la thermodynamique, sur la chaleur, sur la capillarité, etc., et en outre plus de 1.500 mémoires. Il faudrait un volume et la collaboration de plusieurs personnes pour analyser une pareille oeuvre. Vous me pardonnerez, Messieurs, si je ne tente pas de le faire, surtout en ce moment, et si je me borne à venir dire aujourd'hui au nom de l'Académie des Sciences la douleur que nous cause cette fin cruelle et le sentiment que nous éprouvons tous de la perte immense que la France et que la science font en la personne de Henri Poincaré.

DISCOURS DE M. PAUL PAINLEVÉ Membre de l'Académie des Sciences,

AU

NOM

DE

LA

SECTION

DE

GÉOMÉTRIE

Messieurs, La perte que la France vient de faire est si grande qu'elle a été ressentie par la nation tout entière. Si abstraite que fût l'œuvre colossale de Henri Poincaré, si difficilement accessibles que fussent les sommets de sa pensée, sa gloire était trop incontestée, sa renommée trop universelle pour n'avoir pas pénétré toutes les classes, tous les milieux, même les plus légers et les plus distraits, même les plus incultes. Tous les Français savaient qu'un homme vivait parmi eux, dont la pensée était capable de contenir et d'accroître l'ensemble des vérités qu'a pu amasser jusqu'ici l'effort millénaire et concerté