Annales des Mines (1909, série 10, volume 16) [Image 165]

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LES QUESTIONS OUVRIERES

ET LA SCIENCE ACTUARIELLE

et des placements dont elles sont capables, mais encore par l'éclat des bienfaits répandus grâce à la diffusion de la prévoyance et grâce aux relations formées avec la partie la plus nombreuse et la moins fortunée de la nation. Puis, si des pouvoirs publics, imbus de socialisme d'État, prétendent assurer des patrons contre les accidents ou des capitalistes sur la vie, les sociétés privées peuvent les mettre au défi d'assumer la perception d'une infinité de primes modiques et le règlement d'une multitude de sinistres infimes. Les actuaires rappelleront, en outre, aux dirigeants de l'assurance que l'éducation des actionnaires doit être faite tant au point de vue social qu'au point de vue financier. D'une part, il faut montrer à l'actionnaire qu'il doit songer à l'avenir de la compagnie non seulement par une renonciation au bénéfice immédiat d'une portion du dividende, afin de permettre la constitution de réserves, mais encore par l'adhésion à un programme industriel qui réduit les bénéfices pour acheter à ce prix la stabilisation de la clientèle et la faveur de l'opinion publique, double garantie qui constitue une véritable réserve contre une éclipse de la prévoyance ou une tentative dénationalisation. D'autre part, il est essentiel d'élever la mentalité de l'actionnaire en lui apprenant le rôle social de la fortune : ce rôle s'impose d'ailleurs comme un devoir d'autant plus impérieux que les ressources sont plus considérables. C'est donc aux grandes sociétés qu'incombe, dans ce domaine, la mission de pionniers : seules elles disposent des capitaux nécessaires aux sacrifices du début ; seules elles réalisent les bénéfices indispensables à l'organisation de ce nouveau et périlleux service. L'échec d'une société qui serait créée à cet effet ou d'une société préexistante, mais dotée d'insuffisantes ressources, aurait le double inconvénient de décourager dans l'avenir les tentatives similaires ou d'inciter l'État à venir en aide à l'entreprise

défaillante en exigeant pour prix de son concours, soit l'acceptation d'une servitude, soit la constitution d'un monopole, précédent redoutable dans les deux cas pour l'ensemble des sociétés d'assurance; si, en effet, l'État respectait l'existence de la société impuissante, il pourrait subordonner son intervention tutélaire à l'octroi, au profit de la collectivité, d'un droit de rachat ou de propriété future ; si, au contraire, il se substituait à elle, il deviendrait assureur des ouvriers que les représentants qualifiés de l'industrie de l'assurance se seraient refusés ou auraient hésité à couvrir des risques de la vie laborieuse ; il serait alors tenté de généraliser son intervention en expropriant les entreprises rémunératrices qui expieraient de la sorte leur coupable inertie. Cette attitude des sociétés d'assurance pourrait, sans doute, trouver, sinon une justification, du moins une excuse dans une double crainte : la crainte des ouvriers et celle des pouvoirs publics. Les ouvriers, dira-t-on, suspecteront la sincérité des intentions de capitalistes philanthropes, et la diffusion des idées de prévoyance perdra, loin de gagner, à cette inopportune démarche ; quant aux pouvoirs publics, ils verront dans les sacrifices spontanés des sociétés d'assurance un aveu de l'existence de ressources surabondantes, qui sembleront à l'État besoigneux une proie facile pour le Trésor en quête de ressources fiscales . Les actuaires n'auront point de peine à rassurer ces esprits timorés. D'une part, les sociétés d'assurance peuvent éviter un contrat direct avec les ouvriers en recourant à l'intermédiaire des sociétés mutualistes ; d'autre part, les pouvoirs publics feraient preuve d'un inexplicable aveuglement s'ils se privaient du concours des sociétés d'assurance, soit par la dépossession brutale, soit par des exigences qui détermineraient la renonciation des sociétés d'assurance à cette partie de leur tâche : sous

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