Annales des Mines (1909, série 10, volume 16) [Image 164]

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LES

QUESTIONS

OUVRIÈRES

l'opinion le jour où le public aperçoit, à côté du savant dont les procédés lui échappent, l'homme aux idées générales qui comprend les grandes préoccupations humaines, et qui veut faire servir la science, non plus à la simple réalisation de profits capitalistiques scion le vocable allemand, mais à l'amélioration matérielle et morale du sort, du plus grand nombre. Il en est de l'aristocratie de l'intelligence comme de celle de la naissance : ce n'est que par les services rendus à la collectivité qu'elle conserve sa suprématie au cours de l'évolution économique et sociale. L'aristocratie financière ne peut se soustraire à cette loi générale. A ceux qui m'objecteraient la prospérité actuelle de l'assurance, je répondrai qu'une entreprise industrielle ne peut demeurer stationnaire sans se préparer au recul; le progrès est une condition non seulement de développement, mais encore d'existence. Bien plus, les éventualités qui menacent les sociétés, privées doivent leur faire chercher dans l'élargissement deleur base une double sauvegarde contre les atteintes du législateur et contre la défection de leur clientèle. En effet, d'une part, le législateur, soit dans la poursuite inintelligente de nouvelles ressources, soit dans uneapplication des théories collectivistes, agite le spectre delà monopolisation de l'assurance ; or il hésitera devant l'exécution de ce projet, si la clientèle assurée comprend unemultitude de travailleurs dont l'assurance serait ruineuse, sinon irréalisable, pour une Caisse d'État dépourvue delà souplesse de l'initiative privée, et que les sociétésd'assurance se seraient attachés par les liens d'une popularité fondée sur la gratitude. D'autre part, les charges croissantes qu'imposent aux grands États, même durant la paix, les dépenses militaires entraînent pour le contribuable une aggravation defardeau, qui exerce sur le budget de la prévoyance privée-

ET LA

SCIENCE ACTUARIELLE

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mne répercussion immédiate: les dépenses dont le résultat ne peut être que lointain sont délaissées les premières par le contribuable aux abois. Or le législateur en quête de ressources s'attaque tout d'abord aux classes moyennes •qui ont sur les classes riches la supériorité du nombre et sur les classes pauvres celle des revenus attestés par la régularité de l'épargne. La constitution d'une clientèle ■ouvrière, moins vulnérable aux assauts du fisc, suppléerait donc, pour les sociétés d'assurance, à la diminution •de la clientèle bourgeoise. Certes, les avantages inhérents à cette initiative seront méconnus à l'origine tant par les chefs financiers que par les actionnaires des sociétés privées; la situation florissante d'aujourd'hui sera invoquée comme un gage de •celle de demain, et les protagonistes d'idées nouvelles verront taxer leurs suggestions d'inutilité et peut-être -de folie. C'est aux actuaires, d'autant plus écoutés que leur désintéressement est aussi incontesté que leur savoir, qu'il appartient de dissiper ces préjugés et ces erreurs. Ils montreront à leurs chefs que l'organisation de la prévoyance ouvrière est un moyen de lutter à la fois contre le socialisme d'en bas et contre le socialisme d'en haut. Tout d'abord, en effet, les sociétés d'assurance ne peuvent, à l'exemple des compagnies de chemin de fer, «comptersurla dissémination deleurs titres dans lesplus modestes portefeuilles pour opposer un rempart aux attaques <du collectivisme : à défaut de démocratisation de leur fortune, elles doivent donc réaliser la démocratisation de leur •clientèle. Au reste, le second procédé ne sera pas moins efficace que le premier pour défendre contre l'appétit d'un prolétariat envieux les sociétés d'assurance devenues un facteur essentiel, non plus seulement de l'économie nationale, mais de l'économie sociale, et cela non plus seulement par l'importance des capitaux qu'elles détiennent