Annales des Mines (1895, série 9, volume 8) [Image 306]

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NOTICE HISTORIQUE

SUR PIERRE-LOUIS-ANTOINE CORDIER.

armes lui était contraire. Ce corsaire heureusement fuyait les aventures et longeait la côte. Cordier mettait chaque

accorda, pour la retarder, de la lumière et de l'air ; ce fut, pendant vingt-deux mois, la seule satisfaction qu'il obtint. La victoire de Marengo le délivra. La mise en liberté du membre de l'Institut Dolomieu fut le premier article du traité de paix. Les souffrances n'avaient pas ralenti l'ardeur du savant. Les Alpes furent son meilleur médecin ;

relâche à profit. Ses compagnons, les loups de mer, le

voyaient inscrire sur son carnet des notes telles que celle-ci

« Couches primitives contournées en demi - cercle, roches micacées schisteuses, micacées stéatiteuses feldspathiques, ou grès., serpentines. » Et le lendemain « Au fond, sur la côte, escarpement de 80 pieds, offrant des roches primitives à base de fedspath et de hornblende. » Une frégate anglaise leur donna la chasse tout auprès de la côte de France. Un calme plat survint et les sauva;

la légère felouque put, à force de rames, échapper au lourd voilier. L'infatigable géologue, parcourant cette même côte à l'âge de quatre-vingt-deux ans, écrivait à Mn" Cordier « Mes souvenirs d'Égypte ont été vivement éveillés à la vue des plages où j'abordais, il y soixante ans, chassé avec mes compagnons d'infortune par la croisière anglaise que nous avions aperçue lorsqu'aux premières lueurs du

jour nous n'étions plus qu'à une heure de terre. Tout cela, ajoute le vieux professeur, ne devrait-il pas effacer les traces des tristes et pitoyables petits événements du Jardin des Plantes ? »

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il leur demandait les forces nécessaires à un voyage à travers l'Europe, Cordier devait l'y suivre. Ce voyage, lui écrivait Dolomieu, doit vous être plus utile qu'il ne rue

le sera à moi-même, et j'ai plus de plaisir à m'occuper de ce qui peut faire votre réputation que de ce qui peut soutenir la mienne. Tels étaient les sentiments de l'illustre minéralogiste

pour le jeune ami dont pendant ses longues heures de solitude il traçait avec la suie de sa lampe fumeuse ce portrait échappé à bien des chances de destruction

« Cordier a de l'esprit et pourra figurer dans la carrière des sciences. Sa conduite envers moi, pendant tout le temps qu'il m'a accompagné, a été parfaite, toujours mesurée, toujours attentive, toujours obligeante. Aussi

mes sentiments pour lui sont ceux d'un père. J'aurais voulu qu'on le fît moins ressouvenir qu'il porte une jolie figure. Je désire que des avantages frivoles ne dilatent pas trop son amour-propre, mais le temps fanera l'une,

la fréquentation du monde contiendra l'autre , et les

Qui se souvient aujourd'hui des rivalités présomptueuses et des ambitions sans scrupules, jugées fort graves alors, et que la douce philosophie de Cordier savait dédaigner à l'avance ! Aucun souvenir ne revenait plus vivement au cur de Cordier, que les dures épreuves de son maitre, presque son père d'adoption, enfermé à Messine dans un cachot humide et obscur, sans connaître l'accusation portée

excellentes qualités resteront. »

contre lui ni deviner l'accusateur. La mort semblait pour lui inévitable et prochaine ; il ne désirait qu'elle, on lui

départ de Dolomieu vint -fort à propos pour dérober son élève à une rivalité périlleuse. Cordier mérita et obtint,

Cette note fait discrètement allusion à un souvenir d'Égypte, à plusieurs peut-être. Cordier, sur cette terre qui aurait dû le lui rappeler , oubliant l'exemple de

Joseph, le bel Hébreu, avait accueilli sans crainte et sans mystère la bienveillance d'une belle Française distinguée déjà, avec moins de mystère encore, par le général en chef. Napoléon ne fit pas d'éclat, mais le