Annales des Mines (1895, série 9, volume 8) [Image 304]

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NOTICE HISTORIQUE

SUR PIERRE-LOUIS-ANTOINE CORDIER.

ils furent embarqués sur le vaisseau le Tonnant. On voulut, en passant à Malte, s'emparer de la forteresse

qu'on ne puisse attribuer à ces trois grands fléaux de

et du palais des chevaliers. Dolomieu était jadis entré dans

l'ordre et avait fait les caravanes requises pour l'avancement; dégagé depuis longtemps de ses serments, il crut pouvoir, dans l'intérêt de tous, accepter le rôle de négociateur. On devait plus tard en faire l'occasion et le prétexte d'une cruelle et mytérieuse vengeance. Quarante jours après son départ de Toulon, le Tonnant jeta l'ancre dans le port d'Alexandrie. Les savants ne reçurent aucune mission expresse. Toute vérité était proposée à leur étude. C'est en soulevant les voiles du passé qu'ils devaient éclairer l'avenir. La minéralogie, science peu cultivée par ses illustres collègues, imprimait à la curiosité de Cordier une direction originale. Les ruines d'Héliopolis lui révélèrent tout d'abord

l'exhaussement successif de la vallée du Nil, et la dis-

tinction qu'il faut y faire entre le rôle des sables du désert et celui des inondations. Un fragment de sel gemme incrusté dans les obscurs caveaux de la pyramide de Chéops l'intéresse et l'étonne tout autant que le secret

des caractères étranges et le mot des pieuses énigmes gravées sur le porphyre des sarcophages. C'était la première fois qu'à de tels problèmes on associait, pour les éclairer, les études sur la nature des pierres et la recherche de leur origine. Tout semblait réuni sur cette terre radieuse pour enfler et accroître l'exaltation des pensées du jour. On lit sur le carnet de voyage de Cordier

« La plupart des Français qui ont visité les Pyramides n'y ont vu que les massifs sans goût formés par l'entassement des pierres. Le reste, en convenant de

l'art qu'il a fallu pour les construire, les appelle des monuments de la tyrannie et du malheur ; ignorent-ils qu'il n'existe aucun grand monument dans le monde

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l'humanité :

la superstition et la tyrannie ! » Ces lignes sont écrites le 9 vendémiaire an VI; c'eût été miracle qu'un sage de vingt ans échappât aux lieux communs du jour.

Cordier visita près de Thèbes la statue dont chaque matin, disent les poètes, les sons mélodieux saluaient le lever de l'aurore. « Le goût du merveilleux, écrit-il, est un des ingrédients que la nature a mis dans la composition de l'esprit humain. Les prêtres d'Égypte savaient en user ; leur renommée de science et de secrète industrie a fait ranger les soupirs du fabuleux Memnon parmi les

illusions que la science peut inspirer et devrait démasquer. » Les historiens pourtant parlent comme les poètes. Des visiteurs illustres, et en grand nombre, ont, pendant

plusieurs siècles, inscrit leurs témoignages sur le corps du colosse abattu. Ce murmure harmonieux a été, à une époque très éclairée, admiré par les plus sceptiques. Doit-

on n'y voir qu'une supercherie? Les inventions de la science auraient peine à la définir et aucun accident du hasard n'en a renouvelé le prodige. Cordier, par déférence pour un confrère illustre, a consenti plus tard à former des conjectures. Dans une note ajoutée au mémoire de Letronne sur la célèbre statue, il en compare les sons tant vantés au cri strident d'un bâton de soufre brusquement échauffé.

Dolomieu, alléguant une santé chancelante, demanda à quitter l'Égypte. La traversée était périlleuse. Cordier

réclama sa part des dangers. On s'embarqua par une nuit obscure sur la Belle-Maltaise, corvette bien armée, bien approvisionnée, fine voilière, disait-on. Le vent était favorable. Au soleil levant, la ligne de la croisière anglaise était traversée ; on se réjouissait du succès, quand un cri s'éleva : « La cale est inondée ! »