Annales des Mines (1895, série 9, volume 8) [Image 303]

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NOTICE HISTORIQUE

fance ses habitudes de politesse et de haute distinction> Le poète Millevoye, son cousin, fut son ami d'enfance. Cordier fit ses études au collège d'Abbeville, et les fit

bien. Plus restreintes qu'aujourd'hui, elles n'étaient ni moins fortes ni moins fécondes. Sans demander quelles carrières embrasseraient leurs élèves ni les préparer à l'exercice d'une profession, les maîtres croyaient leur tâche bien remplie s'ils leur avaient donné l'habitude de la réflexion et le goût du travail. Ni dans les hautes ni dans les basses classes, la crainte des examens n'enchaînait alors les esprits et ne troublait les études. Heureusement né pour les lettres, le futur savant obtint, à l'âge de quinze ans, les premiers prix dans la classe de

rhétorique, entre autres celui de vers latins, irrévéren-

cieusement nommé alors prmium strict orationis comme si le trait saillant de l'exercice était la gêne imposée aux syllabes. L'École des mines était d'un accès facile. Deux maîtres seulement y-enseignaient, l'un la docimasie et l'autre la géométrie souterraine. Il suffisait, pour y être admis, de joindre à des recommandations qu'on ne refusait guère le certificat authentique d'une instruction élémentaire en mathématique et en dessin. La République, en mettant

les places au concours, y attacha de petits appointements. Les concurrents cependant restèrent peu nombreux; c'était en 179!i; les parents hésitaient à envoyer leurs enfants à Paris, et l'École, de son côté, veillait à

écarter les aristocrates. La haine des tyrans tenait le premier rang dans le programme du, concours ; Cordier,

à l'âge de seize ans, dut faire attester par vingt signatures son attachement à la cause sacrée de la liberté et son amour pour l'égalité. Le jeune collégien d'Abbeville fut autorisé, en conséquence, à habiter Paris pour y recevoir, aux frais de sa famille, des leçons de mathématiques qui durèrent deux mois. Le concours était clos;

SUR PIERRE-LOUIS-ANTOINE CORDIER.

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mais deux candidats seulement s'étaient présentés, et l'École offrait quarante places. La porte restait ouverte ; pour subir l'examen, chacun choisissait son jour ; les lettres d'admission se succédaient sans assigner ni rang

ni note de mérite. « Nous t'engageons, dit le post-

scriptum de celle de Cordier, à te livrer au dessin, pour lequel tu as paru médiocre. » L'École, dès la première année, congédia la moitié de ses élèves. On organisa pour les autres des voyages d'instruction. Les deux plus méritants, Cordier et Brochant de Villiers, parcoururent les Alpes, sous la direction de l'illustre Dolomieu, qui les traita comme ses enfants. En passant au Creusot, ne pouvant visiter l'usine abandonnée et déserte, on explora la vallée ; chacun y fouillait

son domaine. « Quelques-uns y trouvaient un peu de charbon; d'autres, moins heureux, avaient rencontré une substance semblable à la houille par ses caractères extérieurs et qui n'en différait que par son incombustibilité totale. » Le général Bonaparte, en adjoignant une commission de savants à l'expédition d'Égypte, tenait à honneur de faire admirer la glorieuse phalange où chaque science était représentée. Monge et Berthollet, ses seuls confidents, entouraient l'expédition de mystère ; Dolomieu consentit à s'y engager. Le jeune Cordier fut admis à le suivre, heureux et fier, sans s'inquiéter des dangers, de devenir le compagnon et le collaborateur de Monge, de Berthollet, de Geoffroy Saint-Hilaire, de Malus et de Fourier. Ces savants illustres, avant d'ouvrir à Cordier les portes de l'Académie des sciences, l'avaient jugé, à l'institut d'Égypte, digne déjà de leur commerce intime

et de leur amicale confraternité. Partis ensemble de

Paris le 6 avril 1798, Dolomieu et Cordier se rendirent à Toulon en géologues, c'est-à-dire à pied. La promenade dura trente-cinq jours. Après d'inévitables retardements,