Annales des Mines (1885, série 8, volume 8) [Image 71]

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ÉTUDE SUR LE TERRAIN GLACIAIRE

pendant la durée des âges géologiques antérieurs. Il s'est produit ainsi des éboulis, dont nous avons fait connaître la nature et le mode de distribution, en ce qui concerne

le département des Pyrénées - Orientales. Les agents atmosphériques n'ont cessé d'agir sur les éléments de ces roches .et de les dégrader, cette dégradation allant de la surface vers le centre de chaque élément. Ces effets

ont été d'autant plus intenses que les éboulis étaient d'origine plus ancienne. Ce sont ensuite ces matériaux altérés que les glaciers ont remaniés en leur faisant subir des effets mécaniques superficiels considérables. C'est

ainsi que la surface des fragments rocheux, les angles et les arêtes ont été facilement dégradés et réduits en sable. Il n'est pas étonnant, dès lors, de retrouver les cailloux et fragments rocheux qui composent les moraines à angles et arêtes émoussés, et cela d'autant plus que les

éboulis avaient une origine plus ancienne, c'est-à-dire que la montagne sur laquelle ils ont pris naissance, avait elle-même un âge plus considérable. Cette explication est des plus rationnelles ; elle trouve d'ailleurs une confirmation dans l'exemple même qui nous occupe. En effet, dans les Vosges, les blocs des moraines sont toujours arrondis, tandis que dans les Pyrénées, c'est l'exception. Or, entre l'apparition de ces deux chaînes de montagnes il y a toute la durée des formations jurassiques, crétacées, et une partie de celles tertiaires. Il y a encore une autre différence caractéristique entre les moraines de ces deux chaînes, c'est que celles des Vosges, montagnes plus anciennes, sont aussi beaucoup plus compactes tandis que celles des Pyrénées sont plus meubles ; la différence d'âge des éléments qui les constituent en donne l'explication. Nous trouvons enfin une dernière confirmation de l'opinion de M. Benoit dans ce fait que, dans les Pyrénées-

Orientales, les blocs erratiques ont souvent les angles

DES PYRÉNÉES-ORIENTALES.

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partiellement arrondis et que leurs stries sont mal visibles ou corrodées, tandis que dans le centre même des moraines les blocs sont généralement bien anguleux et les stries, lorsqu'on peut les observer, assez nettes. Il arrive, d'ailleurs, ainsi que nous l'avons vu, que ces moraines se sont éboulées sur de grandes hauteurs et que ce phénomène, continuant à se produire de nos jours, nous permet d'examiner leur composition intérieure. C'est précisément ainsi que nous trouvons l'explication de l'arrondissement des angles des blocs dans les parties basses des moraines, ces blocs étant naturellement ceux

qui ont été le plus longtemps et roulés et soumis aux actions atmosphériques.

Nous nous sommes assez étendu sur la formation des nombreux lacs du plateau de Carlitte et d'autres qui se présentent dans des conditions analogues, et nous avons démontré qu'ils doivent leur existence au mouvement de progression des glaciers.

Nous trouvons une confirmation de cette manière de voir dans une opinion émise depuis longtemps déjà par M. G. de 11.Iortillet (*). Le savant géologue suisse a appli-

qué cette théorie à la formation de certains lacs de la Suisse qui ne peut s'expliquer ni par le plissement de couches stratifiées ni par la dénudation due aux rivières. Il fait remarquer, d'ailleurs, que l'affouillement est toujours d'autant plus énergique que la roche est moins dure ou moins cohérente. C'est ainsi que, dans les Pyrénées-Orientales, tous les lacs se trouvent creusés dans le micaschiste, roche dont la cohérence n'est pas énorme, tandis qu'il n'y en a pas dans le granite. Il nous reste, en terminant ce chapitre, à signaler l'o(*) De l'actiOn affouillante des glaciers, Soc. géol., année 1863-

6!. Nous laissons cependant à M. de Mortillet la responsabilité de l'application de cette théorie à la formation des lacs suisses.