Annales des Mines (1881, série 7, volume 19) [Image 127]

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ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

application dans les gaz qu'il appelle parfaits. Les quanti. tés de chaleur employées pour faire varier la température des liquides ou des solides dépendent de plusieurs causes, parmi lesquelles la masse des molécules reste assez prépondérante cependant pour justifier le sentiment de Du. long et de Petit. Mais la loi qu'ils ont cru découvrir, absolument vraie pour un état idéal de la matière que nous ne réalisons pas, n'apparaît plus que comme un souvenir plus ou moins effacé, quand on opère sur des substances considérées dans l'état grossier où nous les connaissons. Ce n'est pas tout : il y a deux siècles, Mariotte, prieur

de l'abbaye de Saint-Martin-sous-Beaune, constatait que l'air se condense en raison des poids dont il est chargé, et que sous un poids double, par exemple, l'espace qu'il occu. pait se réduisait à moitié. Regnault fit voir que la loi de Mariotte ne conviendrait qu'à ces gaz qu'il suppose parfaits. Loin d'obéir à une règle uniforme, chacun des gaz connus se comporte d'une manière qui lui est particulière, et, pour des pressions également augmentées, les espaces

qu'ils occupent diminuent, en général, plus

ou moins,

selon qu'ils se rapprochent plus ou moins eux-mêmes du moment où ils prendront la forme liquide. Enfin, lorsque Gay-Lussac, élève ingénieur de l'École des ponts et chaussées, cherchait, à l'âge de vingt-deux ans, sous l'inspiration de Laplace et de Berthollet, à déterminer quelle expansion éprouvent les gaz quand on les chauffe, les petites différences propres à chacun d'eux lui échappèrent. Il n'hésita pas à considérer les gaz et les vapeurs comme également dilatables par la chaleur. Regnault a démontré que chaque gaz soumis à l'action de la chaleur se modifie d'une manière spéciale, et que des gaz supposés parfaits réaliseraient seuls encore l'idéal dont on avait cru trouver l'expression dans les gaz ordinaires.

Les lois que Mariotte, Gay-Lussac, Dulong

et Petit

avaient énoncées ont gardé leur caractère usuel ; elles n'ont

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pas conservé leur précision mathématique ; Regnault, par

des expériences irréprochables, a démontré que, vraies pour un gaz idéal dont les particules seraient dépourvues d'action réciproque, elles ne le sont pas tant que cette action se mêle aux effets de la chaleur ou de la pression. Pour voir disparaître celle-ci, il faudrait atteindre aux régions les plus élevées de l'espace, s'approcher du vide absolu, parvenir à une raréfaction telle que l'air dont nous sommes entourés deviendrait en comparaison un épais milieu, et faire connaissance avec un état de la matière dont on n'a essayé d'approcher que dans ces derniers temps et les propriétés nous échapppent encore. A mesure que les travaux de notre confrère se multipliaient, on voyait ainsi s'accroître, à la fois, sa confiance dans l'autorité de l'expérience et sa méfiance à l'égard des doctrines. On lui avait enseigné que la chaleur était un corps, elle devenait un mouvement; que les gaz offraient la matière dans le dernier état d'atténuation, et ce n'était plus qu'une poussière moléculaire visqueuse ; que les éléments chimiques étaient de véritables corps simples, et cette grande conclusion de la loi de Dulong et Petit s'évanouissait. Comment, plus tard, eût-il accepté pour définitives des opinions nouvelles dont la durée ne lui semblait pas mieux garantie que celle des théories anciennes qu'il avait dû abandonner ? Au lieu de proclamer des lois éternelles réservées à un domaine idéal, inaccessible, ne fallait-il pas se contenter d'en entrevoir, dans nos régions matérielles inférieures, les vestiges et les souvenirs imparfaits ?

C'est ainsi que Regnault, devenu sceptique, tout en restant passionné pour la vérité, est amené à consacrer sa Vie à l'observation des faits précis et à la recherche des for-

mules empiriques. Sous ce double rapport, il laisse un ensemble de documents d'une incomparable richesse et d'une TOME XIX, 1881.

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