Annales des Mines (1881, série 7, volume 19) [Image 126]

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ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

chaleur, semblait donner au vieil atomisme grec une con. sécration moderne et supérieure.

Malgré le triomphant accueil fait à cette

découverte,

vingt années s'étaient écoulées, et Dulong se montrait de moins en moins disposé à poursuivre les recherches qu'elle provoquait. Peut-être m'est-il permis de rappeler les efforts persistants que j'ai dû faire pour déterminer Regnaultà entrer en lutte avec le problème des chaleurs spécifiques. Longtemps il hésita ; s'engageant résolument, enfin, dans une carrière qui devait honorer sa vie, il montra, par la discussion des méthodes et par les combinaisons des appareils, les qualités d'un savant de premier ordre. Il ne cessa jamais, du reste, au milieu de ses plus grands travaux, de s'intéresser au problème des chaleurs spécifiques auquelil avait consacré ses premiers pas dans la carrière de la physique. Il saisit toutes les occasions de multiplier ses expériences, et nul n'en a publié de plus importantes, par l'heureux choix des matériaux, par l'admirable sûreté des résultats, et par la netteté des conclusions. Il découvrit entre divers métaux des ressemblances ignorées. 11 étendit aux atomes de toutes les combinaisons, pourvu qu'elles fussent du même ordre, la loi que Dulong et Petit avaient énoncée comme particulière aux atomes des éléments, démontrant ainsi une vérité de la plus haute signification, savoir : que les corps considérés comme simples par la chimie sont seulement des corps du même ordre, et que nous ne connaissons pas encore les véritables éléments.

Dès ce moment, Regnault introduisait un principe nouveau dans les études de la physique expérimentale. Pour en comprendre la portée, il faudrait remonter au traité classique de Biot, où sont exposées, avec une si parfaite lucidité, les corrections de tout genre au moyen desquelles un phénomène complexe serait débarrassé des causes d'erreur qui le troublent, si celles-ci étaient appréciées avec

une précision

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absolue. Quiconque, adoptant cette marche,

emploie des appareils simples, mais exigeant des rectifications nombreuses, reconnaît bientôt qu'elle est pleine de périls. D'un résultat douteux les corrections ne font jamais une vérité, pas plus que d'un coupable les circonstances atténuantes ne font un innocent.

Regnault pose en principe que le résultat de toute expérience doit se dégager net et clair. Il fait usage de mécanismes compliqués, c'est vrai ; mais, si l'appareil est complexe, le phénomène à observer est simple. Dans l'art d'expérimenter en fait de corrections, il ne reconnaît qu'un

procédé sûr, c'est celui qui n'en exige pas. N'est-ce pas d'ailleurs la méthode des moralistes profonds, des politiques heureux et des grands capitaines ? N'est-ce pas en, écartant tous les détails parasites et marchant droit au but, qu'ils savent mettre en saillie les lignes maîtresses d'une passion, saisir l'heure opportune du succès dans une époque troublée, ou fixer la victoire par une manoeuvre décisive, au milieu des désordres d'une bataille? La doctrine qui a constamment dirigé Regnault est là tout entière, et, en la mettant en évidence, il a rendu aux sciences un service qui ne sera point oublié, car il s'étend à l'art (l'interroger la nature dans toutes les directions, et il constitue le premier et le plus important précepte de la méthode expérimentale.

Dès lors, Regnault découvrait un autre point de vue que ses études postérieures lui ont donné l'occasion de mettre en évidence dans des circonstances importantes. Les résultats approximatifs indiquent souvent entre les faits naturels des relations simples, que les résultats exacts ne confirment pas. Les expériences précises de Regnault enlevaient à la loi de Dulong et Petit, établie sur des essais insu usants, le caractère d'une loi mathématique, et notre confrère a démontré plus tard que celle-ci trouverait seulement son