Annales des Mines (1881, série 7, volume 19) [Image 125]

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ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

ÉLOGE DE VICTOR REGNAEJLT.

l'eau qui ruisselle d'une éponge comprimée? Fallait-il v voir, au contraire, une force agitant les molécules de ces Mérites corps d'un mouvement vibratoire, plus lent quand ils sont

froids, plus rapide quand ils sont chauds? Les anciens physiciens penchaient pour la première explication ; la se. coude est adoptée aujourd'hui, comme mieux d'accord avec les phénomènes connus. Quoi qu'il en soit, que se passe-t-il quand on chauffe un solide, un liquide ou une vapeur; quand un solide se liquéfie, quand un liquide devient aériforme, quand la chaleur, enfin, passe d'une sub. stance dans une autre? Autant de problèmes dont notre confrère, se dégageant de toute hypothèse, voulut aborder

l'étude et préparer la solution, dès qu'une circonstance, qui intéresse l'histoire de la science, l'eut conduit à s'occuper du dernier d'entre eux. Il y a un siècle à peine, on ignorait que, pour échauffer au même degré des poids égaux de deux matières diffé. rentes, il faut employer des quantités de combustible très variables, et que l'eau réclame plus de chaleur que toute autre substance, pour passer d'un degré du thermomètre à un degré supérieur. Un savant professeur à l'Université d'Édimbourg, Black, que la France pourrait presque réclamer, car il était né à Bordeaux, ayant appelé l'attention sur ce fait étrange, des physiciens habiles montrèrent bientôt que, pour acquérir la même température, l'eau absorbe deux fois plus de chaleur que l'huile, cinq fois plus que le verre, dix fois plus que le fer, te-ente fois plus que le mercure. C'est ainsi qu'a cette époque où la chaleur était considérée comme une matière, on disait que la capacité de l'eau pour la recevoir dépassait celle de tous les autres corps. Laplace et Lavoisier accordèrent un vif intérêt à ces expériences et aux vues nouvelles dont elles étaient l'expression. Cependant rien n'annonçait encore le rôle qui leur était réservé dans le développement de la philoso-

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phie naturelle. lorsque Dulong et Petit furent amenés à s'en occuper.

Le lundi 5 avril 1819, date mémorable, Petit, dont un prématurée, mon an plus tard la science déplorait la mort de trait, en confidence, à son beau-frère Arago, un chiffon papier, sur lequel se trouvaient inscrits les rapports selon lesquels les corps simples se combinent, et les quantités de

chaleur exigées par chacun d'eux pour s'échauffer d'une manière égale sous le même poids. Au premier aspect, c'était le désordre ; mais, en multipliant pour chacun de

chiffres l'un par l'autre, tous les produits se trouvaient égaux. Une heure après, l'illustre seces corps les deux

. crétaire perpétuel, convaincu que Dulong, toujours hésitant, pourrait s'opposer à la divulgation de cette belle loi, en entretenait ses confrères, par une indiscrétion calculée.

Huit jours plus tard, les deux collaborateurs l'énonçaient devant l'Académie elle-même, dans un mémoire célèbre, en ces termes précis : « Les atomes de tous les corps simples ont exactement la même capacité pour la chaleur. » Au milieu du désordre des chiffres, apparaissait tout à coup l'indication claire d'une loi de la nature. Il n'y eut qu'un cri dans l'Europe savante. Je ne serai démenti par aucun des rares survivants de cette époque ; chacun pensait que la philosophie naturelle 'venait de faire

un grand pas! Lavoisier avait prouvé que dans tous les phénomènes de combinaison ou de décomposition des corps, rien ne se perd et rien ne se crée, comme si la matière était formée de particules inaltérables ; Berzelius avait employé sa vie à démontrer que ces particules peuvent être considérées comme des atomes capables de s'unir ou de se séparer sans changer de nature ou de- poids ; mais ces savants illustres avaient envisagé la matière dans ses seuls rapports avec la matière ; Dulong et Petit, en rattachant les propriétés fondamentales de la substance pesante à celles d'un fluide impondérable ou d'une force, la