Annales des Mines (1877, série 7, volume 11) [Image 201]

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ÉLOGE D'ALEXANDRE BRONGNIART.

de ces êtres inférieurs, menus et parfois microscopiques, qui se sont contentés de la moindre pâture, sont innombrables; il est des terrains tout entiers qui sont formés de leurs débris, véritable poussière de la vie. La surface du globe est à leur égard comme un vaste cimetière; et, quand le géologue interroge le sol, ce n'est plus de quelques ossements gigantesques çà et là dispersés, mais de la tombe même de cette plèbe de l'ancien monde partout répandue, que s'élève la réponse. L'existence de coquilles semblables ou plutôt d'une faune identique, dans deux couches du sol semblables aussi, mais éloignées, prouve, malgré la distance, que les mollusques qu'elles représentent y ont vécu dans un milieu et dans des conditions comparables, et que ces deux assises sont de formation contemporaine.

Mais faut-il assigner la même date à deux terrains qui renferment les mêmes êtres organisés, quoique leur composition minérale n'ait rien de commun? Brongniart avait déjà parcouru tant de pays et comparé tant de dépôts fossiles que, lorsqu'il devint nécessaire de résoudre la question, il n'hésita pas. Tandis qu'on inclinait à considérer la nature des roches comme le caractère le plus propre à régler la chronologie géologique, il soutint le contraire. Des roches de nature très-diverses, disait-il, peuvent se former dans le même moment sur divers points du globe. Ne voiton pas se produire à la fois, autour du Vésuve des laves, au fond des eaux des calcaires, près clu Geyser des concrétions siliceuses ? Ces formations minérales, absolument différentes, ne viennent-elles pas recouvrir ou envelopper cependant des restes organiques identiques, appartenant tous à un type commun, celui du temps présent ? La nature des roches dépend d'un accident local, celle des fossiles représente l'état général de la vie dans de vastes régions, sinon sur le globe entier.

Si l'objet principal de la géologie consiste à distinguer

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les époques qui se sont succédé dans la formation de l'écorce terrestre et à reconnaître quels sont les terrains qui se sont formés à peu près à la même époque, les débris de la vie fournissent donc les meilleures indications, quand on envisage la faune tout entière. Pour que les générations aient pris cette physionomie générale, qu'on ne peut pas toujours définir, mais qu'on ne méconnaît jamais, il leur faut des siècles, et c'est ainsi que l'époque géologique, correspondant à la formation d'un étage sédimentaire, se confond avec l'époque biologique, caractérisée par l'analogie des types organiques, dont la ressemblance, générale constitue un élément de premier ordre en géognosie.

Pour manier avec sûreté ces idées nouvelles et pour en faire une application digne de confiance, il fallait joindre, à une connaissance profonde du sol, un sentiment délicat de la méthode naturelle qui préside au classement des êtres organisés. Alexandre Brongniart, également doué des deux

côtés, avait eu tant d'erreurs à redresser qu'il avait reconnu la nécessité de former une école. S'il eût été chargé de l'enseignement de la géologie, il eût fait de sa chaire un

centre de propagande pour les vues qu'il apportait à la philosophie naturelle. Professeur de minéralogie, il n'avait SOUS ce rapport aucune influence à exercer ; il tourna la difficulté.

Le seul jour qu'il se crût permis de dérober aux travaux de Sèvres, le dimanche, fut consacré à la science. Si, le soir, son salon offrait à tous les esprits d'élite un centre recherché, dès le matin, son cabinet était ouvert à quiconque voulait se livrer sérieusement à l'étude. Les jeunes gens, guidés par notre regretté confrère Victor Audouin ,

depuis longtemps le plus cher de ses élèves,

qu'un lien plus étroit avait rattaché à sa famille et qu'une mort prématurée devait enlever à notre affection; examinaient les belles séries géologiques de sa collection. Les maîtres, Léopold de I3uch , de Humboldt , de Verneuil,