Annales des Mines (1877, série 7, volume 11) [Image 202]

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ÉLOGE D'ALEXANDRE BRONGNIART.

Desnoyers, Constant Prévost, Ami Botté, de la Jonkaire, d'Orbigny, Boussingault, Delesse, ou plutôt tous les contemporains venaient communiquer les résultats de leurs observations. Une discussion amicale sur leur interpréta-

tion s'élevait-elle, la réponse apparaissait bientôt dans quelque pièce anatomique, dans quelque suite géologique, dans quelque variété minéralogique, sur lesquelles, grâce à un ordre admirable, Alexandre Brongniart mettait la main sans hésiter. D'un coup d'oeil, roches, fossiles, minéraux, tout était reconnu et la localité précise d'où provenait la récolte était indiquée. Le génie de l'analyse n'a jamais été plus vivement représenté que par cette intuition infaillible,

rapide et surprenante. Au moment où la publication de la carte géologique de la France fut décidée, Élie de Beaumont et Dufrénoy de vinrent les hôtes assidus d'une maison, asile de la science,

que, par une heureuse coïncidence, habitaient à la fois trois amis : Coquebert de Montbret, promoteur de l'entreprise ; Brochant de Villiers, leur chef officiel, familier avec les anciennes méthodes de Werner pour l'étude des terrains primitifs ou intermédiaires; Brongniart, leur guide officieux, prêt à les diriger dans les sentiers nouveaux de l'étude des terrains de sédiment. Pendant quarante années consacrées à cet enseignement

pratique, il eut la satisfaction de diriger les géologues dans leurs explorations et de dire le dernier mot sur les résultats qu'ils croyaient en avoir recueillis. Plein de feu devant une vérité mise en lumière ; plein de mansuétude devant une erreur à redresser, sa pensée active ne laissait échapper aucun détail, sa parole vibrante animait tout sou entourage et, lorsque, mis en présence d'une question douteuse ou d'informations d'un caractère indécis, il était amené à faire intervenir son jugement si droit et son instinct si sûr, les esprits les plus rebelles étaient forcés de s'incliner avec déférence devant l'oracle qu'ils étaient venus interroger.

ÉLOGE D'ALEXANDRE BRONGNIART.

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C'est par ces leçons familières qu'Alexandre Brongniart exerça, surie mouvement de la science, l'influence permanente qui a créé la stratigraphie, base de la géologie. La théorie de la terre entrait ainsi pour toujours dans la phase .de l'observation positive, et la France, les géologues de tous les pays le proclament, ajoutait un fleuron de plus à sa couronne scientifique.

Les couches de l'écorce terrestre, de ce livre de la création, étaient longtemps restées muettes. Alexandre Brongniart en ayant retrouvé la pagination, Élie de Beaumont, qui se disait avec modestie son élève, démontra bientôt que les montagnes en s'élevant ont emporté ou redressé tous les feuillets existants sur le sol, et que ceux qu'on observe en couches horizontales à leur pied s'y sont formés après ce bouleversement. Le phénomène avait donc eu lieu

après le dépôt des couches redressées, avant celui des couches qui ne l'étaient pas. La chronologie des terrains sédimentaires, à peine établie, contribuait ainsi à fixer la date relative de l'apparition des chaînes primitives, venait rajeunir ces monts aux sommets sourcilleux, ossements de la Terre, qu'on avait crus jusqu'alors les plus anciens monuments du globe, et signalait comme nés d'hier les Alpes, le mont Blanc et le Saint-Gothard, dont le soulèvement est

postérieur au dépôt des terrains tertiaires du bassin de Paris. L'apparition de ces géants des montagnes européennes sur le relief du sol coïncide donc avec la dispari-

tion des animaux gigantesques de l'ancienne Europe et n'est pas étrangère, sans doute, à leur destruction. Si le progrès des idées compte dans l'avoir d'un pays et s'il constitue même une marchandise d'exportation,

Prompte à dépasser les frontières et à porter au loin le renom et l'influence morale de la nation d'où elle émane, quelle acquisition de la science a mieux mérité ce titre que la découverte des principes de la stratigraphie, se répandant sur toutes les contrées civilisées, signalant les tré-