Annales des Mines (1877, série 7, volume 11) [Image 198]

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ÉLOGE D'ALEXANDRE BRONGNIART.

ni l'autre, aucune de ces vastes hypothèses que la théorie de la terre avait eu le don d'engendrer jusqu'alors. Les contacts, ainsi établis, devaient amener une réforme considérable, une révolution même dans l'étude de la géologie. Tandis qu'un savant allemand célèbre, Blumenbach, professait que la date du dépôt des fossiles ne dépassait pas celle de l'apparition de l'homme sur la terre, Georges Cuvier et Alexandre Brongniart préparaient l'étonnante révélation qui autorisait à faire remonter l'origine de la vie jusque dans les profondeurs des siècles, tandis que la présence des restes de l'homme semblait ne se manifester que dans les terrains les plus récents. Les périodes nébuleuses entre lesquelles le célèbre professeur de l'Université de Gcettingue divisait à priori sa chronologie tellurique, s'évanouissaient en face des clartés pratiques de la méthode fondée sur l'observation pure, inaugurée, en 18°8, par Cuvier et Brongniart, dans leur célèbre mémoire sur la « Géographie minéralogique des environs de Paris). Lorsque deux auteurs ont coopéré à une oeuvre considé-

rable, l'opinion hésite sur la part qui revient à chacun d'eux, attribuant volontiers le meilleur rôle à l'un et sacrifiant l'autre. Trop souvent alors ceux que l'amitié et l'étude

avaient réunis se trouvent séparés par de regrettables susceptibilités. Rien de pareil ne se produisit entre Cuvier et Brongniart; le plus léger trouble ne vint jamais altérer une affection fondée sur la base solide d'une entière confiance et cimentée par de longues années d'une cordiale

Ils n'auraient pas eu besoin de le déclarer, le monde savant ne s'y serait pas mépris : Cuvier reconstituait les races perdues des animaux supérieurs, en appliquant à leurs restes les règles de l'anatomie comparée, qu'il venait d'inventer ; Brongniart démontrait que les moindres débris de la vie organique, et surtout les coquilles fossiles, carac-

térisent les couches qui les renferment et marquent leur

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place dans la chronologie géologique dont l'étude l'avait si longtemps occupé ; ensemble, ils écrivaient l'histoire de la formation du bassin de Paris, devenu sous leurs mains le type légendaire des terrains de sédiment. La seule partie de notre planète qui nous soit connue ne dépasse guère quelques kilomètres de puissance, c'est-àdire une épaisseur comparable, relativement à son diamètre, à celle de la couche de vernis qui enduit les globes préparés pour l'étude de la géographie. Sur ces globes, un grain de poussière représenterait le relief de nos plus hautes montagnes; une égratignure le sillon de nos vallées les plus profondes. Un illustre géologue saxon, Werner, avait appris à diviser ce mince domaine en deux étages, séparés par un terrain de transition : l'étage supérieur, formé avant l'apparition des êtres organisés, l'autre postérieur à cette apparition.

Cuvier et Brongniart allèrent plus loin. Ils mirent en évidence l'existence d'un troisième étage formé de sédiments déposés au fond des eaux, celui des terrains tertiaires, constituant le bassin de Paris, auquel des études ultérieures vinrent réunir le bassin de Londres, les environs. de Bruxelles, de Bordeaux, de Marseille, et même le bassin de Vienne avec les plaines du Danube, le bassin de Venise avec les plaines de l'Adriatique, enfin des exemples appartenant à toutes les parties du globe. Ajouter aux deux étages de Werner un troisième étage géologique aussi répandu, c'était un événement. Mais à ce service rendu à la science s'en joignait un autre. Les terrains tertiaires ne forment point des masses homogènes, ils se subdivisent en couches distinctes et nombreuses. Pour caractériser chacune d'elles, il fallut créer une méthode, et celle-ci permit non-seulement de les classer, mais de mieux définir les coupes des terrains secondaires plus anciens, de

reconnaître l'existence de terrains quaternaires plus récents, de démontrer enfin que les couches sédimentaires