Annales des Mines (1875, série 7, volume 8) [Image 143]

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DE M. ÉLIE DE BEAUMONT.

EXPOSÉ DES TRAVAUX

leurs conséquences. On a évalué à quarante mille le nombre des personnes mortes dans le tremblement de terre de 1783 en Calabre. Dans notre siècle même, les tremblements de 1812 à Caracas, de 1815 à Sumbava, ont coûté la vie à douze mille personnes au moins chacun. Pour les habitants des régions voisines, ces événements méritent bien le nom de catastrophes. Y a-t-il une raison quelconque qui nous prouve que des catastrophes semblables ne peuvent pas se produire sur une plus grande échelle ? Aucune, si ce n'est qu'on n'en a pas encore vu ? Or, si un Latin de l'époque de Pline avait voulu expliquer par des éruptions du Vésuve la forme et la structure du volcan, n'aurait-on pas pu lui reprocher de faire intervenir des causes étrangères à la nature actuelle, ou d'attribuer à des causes actuelles une énergie plus grande qu'elles ne le comportent réellement, puisque de mémoire d'homme, c'est-à-dire depuis la première colonisation grecque, on n'avait jamais vu le Vésuve donner un signe d'activité. De ce côté, du reste, entre l'école uniformitaire et celle

d'Élie de Beaumont, il y a moins de désaccord qu'il

ne

semblerait ; ce n'est guère qu'une question de mesure. Si le chef reconnu de la première, contraint par l'évidence, se laisse aller à parler de cataclysmes, de révolutions, lorsqu'il décrit les scènes alpestres (*), les opinions d'Élie de Beaumont avaient aussi notablement changé depuis l'origine. A ses débuts, la géologie était encore bien voisine de l'enfance ; les observations peu nombreuses et peu étendues ne restreignaient pas assez la place que prenait l'imagination. Cette grande liberté laissée à la folle du logis

semblait être un charme de plus. Depuis la critique a repris ses droits, et n'a pas épargné les plus grands noms. En 1850 Cuvier régnait ; il avait déclaré que les animaux qui avaient habité notre globe avant l'homme avaient Lyell, Principes.

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été tous détruits par une révolution subite ; plus tard il déclara que d'autres révolutions avaient précédé celle-là, et avaient également détruit tous les êtres déjà existants. La terre avait ainsi passé par une suite de destructions totales, subites, de toute la nature vivante et de créations complètes. Qui pouvait mieux parler de ces faits que Cuvier, à la voix duquel ces ossements épars venaient se placer les uns à côté des autres, en même temps que sa puissante

intelligence reconstituait les muscles et jusqu'à la forme extérieure des animaux auxquels ils avaient appartenu?

Faut-il nous étonner si, à l'abri d'une pareille autorité, la doctrine des révolutions subites était admise en zoologie, et si Élie de Beaumont cherchait à faire coïncider les dates

des soulèvements des premières chaînes de montagnes qu'il observait, avec les démarcations tranchées de Cuvier ; si, pour justifier les effets destructeurs de ces soulèvements, il avait exagéré leur amplitude ? Cette manière de concevoir l'histoire de la terre était déjà un tel progrès sur les romans

qui étaient le fond de la géologie ancienne, qu'elle fut adoptée d'une manière presque générale en France, et que longtemps après qu'Élie de Beaumont y avait. renoncé,

d'Orbigny, le vulgarisateur de la géologie en France, la maintenait encore. Des observations ou plutôt des renseignements imparfaits avaient contribué aussi à égarer Élie de Beaumont, mais il ne tarda pas à amender son premier système ; tandis qu'il

ne déplaisait pas à Arago de voir les montagnes pousser comme des champignons, Élie de Beaumont reconnaissait de plus en plus que les grandes chaînes, les plus élevées, avaient pris une partie de leur relief à des époques diverses ; que les Pyrénées, par exemple, qu'il avait cru, sur la foi de

leur simplicité géographique, élevées en une seule fois, portaient les traces de six ou sept systèmes de dislocation d'âge différent, et que les reliefs les plus accusés étaient dus à la répétition des mêmes phénomènes à des époques