Annales des Mines (1874, série 7, volume 6) [Image 106]

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DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

niques ont été soulevées à une époque qui se place après le dépôt de tous les terrains sédimentaires qu'elles ont entraînés dans leur mouvement d'ascension, et avant le dépôt de ceux dont les assises se montrent horizontales dans leur voisinage.

Les montagnes étaient donc le produit d'un gonflement de l'écorce du globe, refoulant les mers au loin et entraînant, au-dessus de leur ancien niveau, les couches solides déposées dans leur fond. Après avoir reconstitué ainsi, par une vue de l'esprit, ce qui a dû se passer dans une de ces révolutions superficielles du globe, M. Élie de Beaumont remonte au Psaume cxtu, ancienne et poétique expression d'une étonnante justesse de la pensée scientifique moderne, et rappelle ces paroles « Devant la face .du Seigneur, la terre s'est émue; la mer le vit et s'enfuit ; les montagnes bondirent comme des béliers et les collines comme des agneaux. » La manière de travailler de M. Élie de Beaumont et le tour de son génie se révèlent tout entiers dans ces trois circonstances. Les matériaux sur lesquels va se fonder sa doctrine sont recueillis avec patience et contrôlés avec une rigoureuse exactitude. Sa vive imagination en tire des conséquences sublimes. Sa piété les rattache, sans effort, aux textes sacrés. Observateur infatigable, persévérant et sûr ; poète à sa manière, et poète passionné pour toutes les idées élevées ; chrétien, toujours, et chrétien convaincu : tel se montrait Élie de Beaumont dans cette oeuvre admirable de sa jeunesse; tel il est resté toute sa vie.

En faisant connaître l'âge relatif des quatre premiers systèmes de montagnes qu'il avait étudiés d'abord, il savait

bien que ce n'était là que le commencement d'un travail immense qui l'occuperait jusqu'à sa mort. Sa doctrine, douée du principal élément de la vitalité scientifique, la faculté du progrès, s'est étendue, en effet, à une portion considérable de la surface de la terre.

DE il. ÉLIE DE BEAUMONT.

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Appliquée, par l'observation, à de nombreux systèmes de montagnes ; soumise par le calcul aux lois de la géométrie,

la pensée première de M. Élie de Beaumont, confirmée, étendue, précisée, justifie, de plus en plus, les paroles par lesquelles il en donne lui-même une si belle et si juste définition : « Dans ce vaste ensemble de caractères par lesquels la main du temps a gravé l'histoire du globe sur « sa surface, les montagnes sont les lettres majuscules de cet immense manuscrit, et chaque système de montagnes en constitue un chapitre. »

Après avoir lu quatre de ces chapitres en 1829, il était déjà, en 1847, capable d'en déchiffrer dix-sept, et ce nombre

dépassait vingt et un en 185o. Il ne peut que s'accroître, et il se passera longtemps avant que les Champollions de la

géologie aient épuisé tous ses hiéroglyphes; mais ils n'ajouteront rien à la méthode du maître. L'Académie des sciences, frappée des grands mérites de M. Élie de Beaumont, et pleine de sympathie pour sa personne, saisit la première occasion pour l'appeler dans son

sein et le fit entrer, il y a près de quarante ans, dans la section de minéralogie et de géologie. A la mort d'Arago, elle pensa que personne n'était plus digne que lui de recueillir sa glorieuse succession, et elle força M. Élie de Beaumont de mettre au service de la com-

pagnie son immense réputation, son incontestable autorité, sa puissance morale. Nous savons de quel poids ces avantages ont pesé dans les affaires de l'Académie et dans son influence à l'étranger, où tout s'inclinait devant ce grand nom.

Notre illustre confrère était toujours prêt, quand il s'agissait de ses devoirs envers la compagnie. Ses éloges sont

autant de traités profonds et complets, fruits de longues études et de sérieuses méditations. Le public les eût voulus moins savants, mais ceux qui les étudient dans le silence

du cabinet ne s'en plaignent pas. Ses rapports, par leur-