Annales des Mines (1879, série 7, volume 8, partie administrative) [Image 86]

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riel », on avait essayé de prétendre qu'il fallait que la propriété subît un retranchement matériel, une détérioration physique. Le conseil d'État a fait justice de cette interprétation trop étroite, même dans ce sujet soumis à des règles spéciales. L'expression est restée, mais l'application qu'on en fait s'est élargie, de façon à assurer la réparation équitable de tout préjudice positivement souffert, de tout préjudice qui ne serait pas la privation d'avantages dont tout le monde jouit sans y avoir un titre positif ou qui ne serait qu'une conséquence éloignée du fait. Je n'insisterai pas sur ce point, parce que, en matière de travaux publics, le dommage doit être juridiquement entendu dans un sens beaucoup plus large qu'en droit commun. L'analogie est plus grande en matière d'établissements dangereux, incommodes et insalubres, et ici, devant la juridiction civile, suivant le droit commun : cette question a fait, en cette matière spéciale, l'objet de controverses et de discussions dans lesquelles nous ne pouvons pas entrer. On peut dire que la jurisprudence des tribunaux paraît être fixée en ce sens qu'il y a lieu à indemnité pour le préjudice résultant dédommages réellement soufferts dans les produits, dans le revenu de la propriété de celui qui se plaint du voisinage de pareils établissements. C'est bien aussi en ce sens que la jurisprudence paraissait s'être d'abord prononcée en matière de mines. Ainsi l'arrêt déjà cité de la cour de cassation, du i5 novembre 1869, reconnaissait implicitement que le concessionnaire, en cas d'occupation, ne devait pas d'indemnité pour « une privation ou une diminution éventuelle de jouissance » du restant de la propriété. Dans l'espèce, il s'agissait de travaux établis à proximité d'un château, dans un parc qu'on représentait comme déshonoré, déprécié par l'exploitation de la mine. Le tribunal d'Angers, dans le jugement précité du 20 juillet 1872, décide également « qu'il ne sera pas tenu compte de la moinsvalue générale de l'immeuble ». Mais un arrêt plus récent de la cour de cassation, du ià juillet 1875 (*), paraît de nature à augmenter singulièrement les cas où elle admettrait l'indemnité. Suivant cet arrêt (rendu entre les mêmes parties et pour la même mine que l'arrêt précité du i5 novembre 1869), le concessionnaire est tenu de réparer «spécialement la dépréciation de valeur et la diminution de jouissance que l'établissement et l'exploitation de la mine causent au propriétaire de (*) Suprà, p. 146.

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la surface ». Les faits de la cause rappelés dans l'arrêt de la cour de Poitiers, du 18 août 1873 (*•), n'établissent pas bien péremptoirement si c'est pour une diminution de la jouissance domestique plutôt que pour une dépréciation réellement subie par la valeur vénale ou locative de l'immeuble que la cour a entendu donner une indemnité. Vouloir poser une limite précise entre ces deux cas est chose bien difficile, sinon même impossible; c'est peutêtre chercher à formuler des règles et des distinctions absolues dans une matière qui ne les comporte pas. Toutefois la cour de Nancy a, le 3 août 1877 (**), fait, en faveur du propriétaire du sol, une application plus large encore du principe posé par l'arrêt de cassation du îli juillet 1875. Elle a accordé une indemnité pour des dommages qu'elle détaille avec soin, qu'elle dit elle-même n'être qu' « indirects », qui ne sont qu' « une source sans cesse alimentée de désagréments, d'ennuis et de gênes », une cause de trouble, en un mot, pour « l'asile des jouissances domestiques » de Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, dont la cour rappelle l'expression « poétique ». Le tribunal de Nancy avait, au contraire, refusé d'accorder une indemnité sur ce chef, tant pour le passé qne pour l'avenir. En statuant dans ce cas pour l'avenir, la cour de Nancy appliquait, soit dit en passant, le principe d'un arrêt de cassation du i5 mai 1861 que l'on peut citer, à ce point de vue spécial, bien qu'il appartienne à la jurisprudence antérieure à celle de l'arrêt du 20 juillet 1862. La cour régulatrice avait reconnu, dans cette affaire, qu'il pouvait être attribué une indemnité pour un dommage qui n'était pas encore arrivé, actuel, mais qui était inévitable. Au fond, les inconvénients dont souffre M. Seillière ne troublent, dit l'arrêt, que « l'asile des jouissances domestiques » ; mais les faits mentionnés par la cour, tout « indirects » qu'elle les dise, n'en atteignent-ils pas moins la valeur locative ou vénale de la propriété? C'est ainsi que l'on peut essayer de défendre la solution adoptée: comme celle de l'arrêt de cassation de 1875, elle n'en reste pas moins diamétralement opposée à la doctrine de l'arrêt de cassation du i5 novembre 1869; en outre, il est difficile de trouver, dans ces récentes décisions, une stricte application des règles de la responsabilité de droit commun; il serait peut-être plus exact d'y voir un retour vers la doctrine de la responsabilité spéciale du concessionnaire de mines. (") Suprà, p. i44(**) Suprà, p. 48.