Annales des Mines (1870, série 6, volume 9, partie administrative) [Image 139]

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ENQUÊTE

OFFICIELLE

SUR LA

CONDITION

DES

OUVRIERS

intérêt quelconque dans un établissement qu'il peut quitter, en quelque sorte, du jour au lendemain, et ceci est surtout vrai pour l'ouvrier mineur, auquel la fixité semble tout à fait inconnue (*). » — « 11 y a, d'ailleurs, cbez l'ouvrier charbonnier, autant, sinon plus, de défiance à l'égard de son compagnon qu'à l'égard de son chef. » — « Il tient, avant tout, au crédit qu'il peut trouver chez le petit détaillant et ne réfléchit pas à quel taux il le paye (**). » — « L'instruction n'est pas assez répandue dans les masses; l'esprit d'association y fait défaut, et, si parfois il s'y introduit, ce n'est qu'en vue du mal (***). »

DANS LES MINES ET USINES DE BELGIQUE.

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une à Liège, sous le nom de Y Équité, pour l'achat en gros des denrées, et une autre qui s'est créée dans le but de fonder des établissements d'alimentation économique dans les divers quartiers industriels de la ville. » Ajoutons que l'Équité est vivement recommandée aux ouvriers par les industriels de Liège, notamment par les sociétés de l'Espérance (usine à fer) et de Bonnefin (houillère), qu'elle dispense d'organiser des établissements semblables et distincts pour leur

En effet, les patrons mêmes, qui ont le mieux réussi dans la

personnel. En effet, le peu de progrès réalisé en Belgique, jusqu'à

création de magasins de denrées, se soucient peu d'en remettre la

ce jour, pour y développer le système coopératif, est encore dû à

direction à leurs ouvriers ; ils craignent que la coopération ne soit

la sollicitude des chefs. Une application excellente en a été faite

détournée de son véritable objet et ne transforme des institutions

au grand établissement de la société Cockerill, à Seraing, où les

utiles en sociétés de résistance.

ouvriers de la fonderie et de la fabrique de fer, au nombre de près

Aussi les ingénieurs ont-ils peine à se mettre d'accord sur le point d'où doit partir l'initiative en cette matière. L'un pense qu'elle doit être prise par l'ouvrier lui-même, « afin de lui laisser la responsabilité d'affaires qui, par leur nature spéciale, prêtent plus facilement à la suspicion des administrés vis-à-vis des administrateurs » ; l'autre met plus de confiance dans « le patronage, sinon des administrations communales, au moins des personnes notables habitant la commune. »

Un troisième n'aperçoit pas de

moyen pratique d'encouragement. Un autre enfin s'adresse franchement aux patrons et leur demande de donner un salutaire exemple : « Dans son état actuel d'instruction,— dit M. Rucloux,—on ne peut espérer voir l'ouvrier s'engager de lui-même dans la pratique de ces idées nouvelles; il est nécessaire qu'on l'éclairé, non par des théories, mais, ce qui vaudra beaucoup mieux, en lui montrant le système coopératif à l'œuvre. C'est donc aux chefs d'industrie à prendre l'initiative; qu'ils fassent ensemble ce que plusieurs d'entre eux ont déjà fait isolément, c'est-à-dire qu'ils établissent à frais communs des magasins de denrées alimentaires, des boulangeries, des fourneaux économiques. Ces établissements créés et fonctionnant, l'ouvrier se familiarisera avec leur organisation, se rendra compte des avantages qu'il peut en retirer, et nul doute qu'on ne le voie alors prendre une part active au développement de ces institutions, dont on ne peut méconnaître la grande utilité. « L'exemple est, du reste, déjà donné dans nos villes. Sans parler de Verviers, où l'on compte, paraît-il, plusieurs sociétés coopératives, il eu existe

de 4.000, se sont associés pour la préparation d'un repas économique : « La société fournit le réfectoire, le feu et une ménagère. Chaque participant paye 2 francs par quinzaine de jours de travail et reçoit, à l'heure du repas, un litre de potage et 1/10 kil. de viande environ, qu'il peut consommer sur place ou emporter dans son ménage. A la fin de chaque quinzaine, un tableau, indiquant les recettes et les dépenses, est affiché sur la porto du local, et, s'il existe un boni, il est porté au compte de la quinzaine suivante. « La société de la fabrique de fer d'Ougrée, dont la direction zélée et intelligente mérite d'être citée, pour sa sollicitude en faveur de l'ouvrier et pour les institutions qu'elle a réalisées, s'occupe de créer chez elle une association analogue et fait, à ses frais, les installations nécessaires. » Ailleurs, des essais faits dans le même sens ont également réussi. L'établissement métallurgique de Moresnet (Vieille-Montagne) accorde à la société coopérative formée par ses ouvriers l'usage gratuit de sa boulangerie et des avances de fonds, pour faire des achats en gros. Enfin les magasins de denrées alimentaires de Grivegnée (fabrique de fer) et du Val-Saint-Lambert (gobletterie à Seraing) sont devenus de véritables associations de consommation, depuis qu'une commission d'ouvriers préside aux achats, fixe les prix de vente et répartit les bénéfices, au prorata des emplettes de chaque membre. Il est digne de remarque que ces divers établissements sont tous situés dans la province de Liège, dont la population ouvrière paraît généralement animée d'un meilleur esprit que celle du Hainaut.

(*) Rapport de l'ingénieur en chef de Liège. (**) Rapport de l'ingénieur principal du centre du Hainaut. (***) Rapport de l'ingénieur principal du Borinage.

Aussi l'ingénieur en chef de Liège est-il, entre tous ses collègues, le plus confiant dans le succès des associations qu'il préconise. Il ne se dissimule pas toutefois que la coopération « entre ouvriers