Annales des Mines (1870, série 6, volume 9, partie administrative) [Image 109]

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2l8

ENQUÊTE

OFFICIELLE

SUR

LA CONDITION

DES OUVRIER,

« A cet âge, l'enfant peut avoir terminé ses études provisoires, et ses membres sont encore assez souples pour se prêter, sans effort, au métier de mineur, qui demanda à être appris jeune. Celte limite de douze ans semble admise implicitement par les charbonnières affiliées à la caisse de prévoyance du couchant do Mons, dont les statuts n'accordent, par l'arlicle 28, une pension temporaire que jusqu'à l'âge de douze ans (sauf le cas d'infirmité ou de maladie), aux enfants dont un ouvrier, victime d'un accident, était auparavant le soutien (*). » Les directeurs de mines eux-mêmes devancent la réforme législative et répugnent à admettre des enfants trop jeunes ; s'ils s'y résignent quelquefois, « c'est par charité et par complaisance pour des parents dénués de ressources. » Néanmoins l'abus existe encore dans une certaine mesure; un article de règlement doit le faire disparaître, « dans l'intérêt des enfants, de leur développement physique, dans l'intérêt surtout de leur instruction, qui doit en souffrir singulièment, et même dans l'intérêt de l'exploitation, où ils n'apportent pas un effet utile en rapport avec leur salaire (**). » Faut-il aller plus loin et étendre cette limite jusqu'à quatorze ans? Ici les ingénieurs se montrent très-réservés, au moins en ce qui concerne les enfants mâles. Le métier de mineur doit être appris jeune; il faut que les membres s'assouplissent de bonne heure et se plient, sans effort ni fatigue, à la position gênée du piqueur dans les tailles : « Le labour de ces jeunes gens n'est, du reste, pas aussi fort qu'on le croit dans le public et, lorsqu'il n'y a pas d'abus, c'est un exercice corporel qui, par lui-même, peut aussi bien être considéré comme utile que comme nuisible. » Quant aux femmes, c'est tout différent, les ingénieurs sont d'avis de reculer, pour elles, la limite d'âge jusqu'à quinze ans, époque critique où s'accomplit la transformation de la jeune fille : w Jusqu'alors, elles auraient le temps de fréquenter les écoles et d'acquérir une certaine instruction; pour atténuer les effets de cette détestable éducation qui dislingue particulièrement la population charbonnière, tant féminine que masculine. Quelques-unes pourraient déjà, dans l'intervalle, choisir un étal plus en rapport avec leurs goûts, leur aptitude et leur constitution, ce qui les empêcherait de se livrer plus tard aux travaux houillers (**"). » O Rapport de l'ingénieur principal de Mons. (**) Rapport de l'ingénieur principal de Charleroi. (w) ibidem.

DANS LES MINES ET USINES DE

BELGIQUE.

sslf)

Ce vœu, en donnant la mesure des résultats que devrait produire la réforme, donne aussi la mesure des sacrifices qu'elle coûterait à l'industrie. L'exclusion des femmes des travaux souterrains, avant l'âge de quatorze ans, ferait perdre aux houillères du Borinage les plus riches et les plus nombreuses, 5 1/2 p. 100 de leur personnel. La perte dépasserait 6 p. 100, si les filles ne pouvaient descendre avant l'âge de seize ans. Mais il faut tenir compte, en sus, de toutes celles qu'une appréciation plus sûre des inconvénients du métier de bouilleur détourneraient ensuite de l'embrasser. Si considérable que soit cette perte, l'administration ne s'en alarme pas en Belgique; car elle recommande partout de confier la besogne du, personnel le plus jeune à des ouvriers plus âgés. L'ingénieur en chef directeur des mines de Mons, M. Jochams, va plus loin que ses collaborateurs, puisqu'il incline, comme nous l'avons vu, à reculer progressivement la limite d'âge pour les garçons à quatorze ans, pour les femmes à vingt et un. La dernière réforme ne devrait être opérée, d'après son projet, qu'en 1880 ; mais, pour la première, le délai serait moindre; pendant une période transitoire de cinq ans, les enfants des deux sexes ne seraient plus admis dans les mines au-dessus de douze ans; à partir de 1875, les garçons ne pourraient plus descendre qu'après quatorze ans, et les filles qu'après seize ans révolus. 11 est regrettable que ce parti décisif, inspiré par des sentiments généreux, soit conseillé incidemment au cours d'un rapport, sans aucun motif à l'appui pour combattre les défiances et rectifier les vœux plus timides des ingénieurs principaux. Loin de là, lorsque l'ingénieur en chef entre dans l'examen de la question et des conditions dans lesquelles elle est posée, il se réfère aux considérations présentées dans le compte rendu, pour 1868, du comité des houillères de France et en reproduit un long extrait, propre à justifier des conclusions toutes différentes. Si ce document est invoqué pour expliquer les hésitations du gouvernement belge au seuil d'une mesure de réglementation, enmontrant quelles oppositions la même idée rencontre dans un autre pays, il paraît heureusement choisi; mais ce manifeste nous paraît de nature à inspirer de légitimes défiances. En effet, le projet de loi nouvellement élaboré est représenté comme une mise en suspicion, dont l'effet sera de décourager, par une réglementation comminatoire inutile, les intentions bienveillantes des exploitants, et de paralyser leur initiative, déjà éprouvée par tant de sacrifices en faveur d'institutions telles que les asiles et les écoles?