Annales des Mines (1870, série 6, volume 9, partie administrative) [Image 105]

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ENQUÊTE OFFICIELLE SUK LA CONDITION DES OUVRIERS

de leurs moyens d'existence et causerait un préjudice considérable aux propriétaires d'exploitation. » « Il ne faut pas perdre de vue, en effet, — dit l'ingénieur principal actuel de Mons,—que l'exploitation des mines demande un concoursde bras considérable et conséquemment la présence, dans les environs des charbonnages, d'un grand nombre de familles ouvrières, nombre qui devra s'accroître encore, si l'ou interdit aux femmes le travail souterrain. Par cela même, nous aurons, à côté de la nombreuse population ouvrière masculine, un nombre de femmes correspondant, dont l'emploi sera d'autant plus difficile que l'exploitation des mines est, en définitive, la seule grande industrie du Borinage. » Ces raisons sont graves; elles frapperont vivement les hommes aux prises avec les difficultés pratiques de l'industrie, qui ne sauraient mettre en balance une intention généreuse ou une maxime d'humanité avec le danger de compromettre, par un acte irréfléchi de bienfaisance autoritaire, les moyens d'existence d'une partie de la population ouvrière. Ce n'est pas l'appât d'un fort salaire qui porte les femmes à solliciter l'entrée des mines, dont le séjour doit évidemment leur paraître peu attrayant. Un fait important et général en Belgique, ressort, à cet égard, delà statistique : c'est la décroissance rapide du nombre proportionnel des femmes, à mesure qu'elles avancent en âge. Au-dessous de 16 ans, il y a,â la surface, un peu plus de filles que de garçons; dans les travaux du fond, le nombre des filles est à peu près la moitié de celui des garçons;audessus de 16 ans, le rapport tombe à un cinquième environ d'une part, à un dixième de l'autre : « 11 est excessivement rare, — disait feu l'ingénieur en chef Gonot, qui fait autorité en Belgique et dont nous avons rapporté l'opinion plus haut, — de voir travailler les femmes mariées, non-seulement dans l'intérieur des mines, mais même à la surface; aussi sont-elles presque toutes âgées de moins de 24 ans. La seule raison que l'on [misse donner de ce fait, c'est que l'état de grossesse, d'abord, et ensuite les soins assidus et multipliés que réclament les enfants eu bas âge ne permettent plus aux femmes de se livrer à des occupations pénibles, continues et qui les éloigneraient chaque jour, pendant dix à douze heures, de leurs ménages. Du reste, aucune idée de déshonneur ou de mauvaise conduite n'est attachée, dans la classe ouvrière, au travail des mines; les femmes qui s'y livrent sont, aussi bien et peut-être mieux que d'autres, recherchées en mariage, parce qu'elles sont plus laborieuses. » S'il faut en croire l'ingénieur principal du Borinage, la population ouvrière de cette région, qui s'élève à près de 5oooo personnes, ne compterait que 160 femmes mariées, 6 p. 100 du nombre

DANS LES MINES ET USINES DE BELGIQUE.

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des femmes adultes de plus de 16 ans. Et encore •> ces femmes sont, pour la plupart, des veuves ou des femmes délaissées par leurs maris. <> Ce sont donc des enfants et des jeunes filles qui viennent demander au travail des mines, soit le complément du salaire de leur père et de leurs frères pour l'entretien du ménage, soit leur propre subsistance, soit peut-être la nourriture de vieux parents infirmes dont elles sont l'unique soutien. Avant de songer à priver les femmes de cette ressource, il faudrait leur en ménager d'autres, qui existent dans la province de Liège, riche en industries variées, mais manquent encore dans celle de Hainaut, presque exclusivement minière. Voilà pourquoi la question, au centre du bassin liouiller de Belgique, paraît devoir être abordée avec beaucoup de tempéraments et résolue par une suite de mesures, graduellement préparées pour conjurer les mouvements brusques et favoriser le passage successif de la population féminine à d'autres occupations. Néanmoins, tous les ingénieurs de l'État, en Belgique, semontrent peu partisans du travail des femmes dans les mines. La vivacité presque passionnée que l'Académie de médecine avait apportée dans l'examen de la même question les a seule obligés à émettre des réserves et à protester contre des exagérations, dont leur expérience devait faire justice et signaler le péril. La santé et la moralité des femmes sont-elles mises sérieusement en danger par leur présence dans les travaux souterrains? Y sontelles placées, à ce double point de vue, « dans des conditions exceptionnellement pernicieuses? » La plupart des ingénieurs n'hésitent pas à répondre négativement. Et d'abord faut-il redouter, pour elles, les suites funestes d'un travail trop rude? Sans juger des suites, qui ne sont pas de sa compétence, l'ingénieur principal de Charleroi s'exprime ainsi sur ce sujet : « Dans ce bassin, le travail des femmes consiste principalement à pousser des chariots sur des voies ferrées dans des galeries qui ont im,io à im,8o de hauteur; à élever, à l'aide de treuils, les charbons exploités en vallées; à manœuvrer des freins sur les plans inclinés automoteurs. Ce labeur n'est pas plus rude que celui de beaucoup de femmes employées à la surface, et notamment que celui des femmes si connues à Liège sous le nom de botleresses. « Leur travail au Borinage, — dit l'ingénieur de cet arrondissement, — tout différent de ce qu'il est au Centre et à Charleroi, consiste surtout dans le boutage (glissement) et le chargement des charbons au pied des tailles, dans le chargement des déblais des percements en roc, etc. Leur position est moins gênée que celle des ouvriers en taille, surtout dans les exploitations en droit;