Annales des Mines (1914, série 11, volume 6) [Image 110]

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DISCOURS PRONONCÉ AUX OBSÈQUES DE M. KUSS

DISCOURS PRONONCÉ

AUX

OBSÈQUES

DE M. KUSS DIRECTEUR

DE L'ÉCOLE NATIONALE

SUPÉRIEURE

DES

MINES

le 24 novembre 1914 Par M. GHESNEAU, Sous-Directeur de l'École nationale supérieure des Mines.

Au nom de l'Ecole nationale des mines de Paris, je viens dire un suprême adieu à celui que nous pleurons tous ici. , ' . Nommé directeur de cette école au moment même où il se sentait atteint du mal qui devait l'emporter, Henry Kuss n'a pu prendre en main les fonctions qu'il s'apprêtait à remplir avec tout le talent dont son passé était le gage certain : il n'a pu que mesurer du regard la dernière étape de sa belle carrière, et la destinée n'a pas voulu qu'il en franchisse le premier pas ! Aucune torture physique ne lui a été épargnée dans le long calvaire que fut sa douloureuse maladie : quel- courage, quelle force d'âme ne lui a-t-il pas fallu pour n'en rien laisser paraître à l'admirable compagne qui l'a disputé sans relâche à la mort? Et quelle torture morale dut aussi être la sienne, quand il se sentit terrassé pour de longs jours sur son lit de malade, à l'instant même où la France se levait contre l'envahisseur! Alsacien — appartenant 11 la famille du

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courageux citoyen de Strasbourg qui en était le maire en 1870 — Henry Kuss avait dix-huit ans lors de l'année terrible qu'il passa dans Strasbourg assiégé : il connaissait ainsi de longue date toute l'effroyable barbarie teutonne, la joie féroce des Allemands à détruire les joyaux de l'art humain, et ' à faire subir aux populations civiles toutes les horreurs interdites par les conventions les plus solennelles ; quelle angoisse patriotique a dû i'étreindre quand il a su notre frontière envahie, lorsqu'il a appris que l'ennemi occupait les mines de notre bassin houiller du Nord, ses chères mines dont il avait si longtemps suivi et encouragé les progrès magnifiques, d'abord comme ingénieur en chef et directeur de l'École des maîtres mineurs de Douai, puis comme inspecteur général de la division du Nord-Ouest ? Je l'ai vu dans ces jours sombres, et jamais je n'ai pu surprendre chez lui la moindre trace d'abattement, le moindre signe de dépression . „ C'est que si Henry Kuss était un ingénieur d'une valeur rare, c'était aussi un grand: caractère, soutenu par les aspirations les plus nobles, etappuyé sur une foi profonde : foi dans les destinées de sa patrie, foi dans une puissance supérieure qui ne peut laisser l'injustice triompher indéfiniment ici-bas. Et dans les rêves que l'apaisement momentané de la souffrance lui a permis de faire, une image sacrée a dû parfois surgir devant lui, estompée et lointaine, sa chère ville de Strasbourg agenouillée au pied de sa cathédrale, toute pavoisée aux couleurs françaises: cette espérance inébranlable que, nous aussi, nous portons tous dans notre cœur, lui a donné la force de supporter ses souffrances jusqu'au bout.

Je n'entreprendrai point de vous décrire ici en détail ce que fut la carrière d'Henry Kuss : vous savez tous