Annales des Mines (1912, série 11, volume 2) [Image 74]

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DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

joie à l'éclosion prévue et au développement de son génie, et que la mort a si affreusement brisée. A notre Faculté, Poincaré occupa successivement, dans une période de trente ans, les chaires de mécanique, de physique mathématique et de calcul des probabilités, d'astronomie mathématique et de mécanique céleste. Il aurait pu tout aussi bien occuper n'importe laquelle de nos chaires de mathématiques ou de physique. Pendant cette longue période, il traita chaque année un nouveau sujet, faisant pénétrer ses découvertes dans son enseignement. Comme il ne pensait jamais à tirer parti d'un effort autrement que pour un nouvel effort, il ne s'occupait plus de ses. cours, quand ils étaient terminés. Ce fut l'Association amicale des élèves et des anciens élèves de la Faculté qui sollicita et obtint de lui l'autorisation de les faire rédiger et imprimer ; c'est à cette initiative que nous devons les seize volumes de mécanique, de cinématique et de physique mathématique représentant la première partie de l'enseignement magistral de Poincaré. L'Association est justement fière de son œuvre ; elle me charge de dire toute sa reconnaissance à la mémoire dû. grand savant. L'enseignement de la mécanique céleste amena Poincaré à développer les méthodes nouvelles qu'il avait données dans son célèbre mémoire sur le problème des trois corps; il en résulta un ouvrage en plusieurs volumes, d'une importance capitale, qui fait de l'auteur, dans cette partie de la science, le Laplace du xx 8 siècle. Dans le service intérieur de la Faculté, Poincaré a toujours montré le plus scrupuleux attachement à son devoir, ne demandant aucune faveur, donnant généreusement ses idées pour les thèses de doctorat, corrigeant les copies des candidats au baccalauréat avec une conscience et une régularité exemplaires. Je tiens à associer tout particulièrement à l'expression

DE M. HENRI POINCARÉ

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de notre douleur et de notre hommage, notre doyen honoraire M. Darboux ; voici en quels termes il s'adressa à Poincaré le jour de la célébration de son jubilé scientifique : « Mon cher Poincaré, « Les éloges que vous donnez à mes travaux portent la marque de votre bienveillance naturelle ; ils me comblent de joie, comme venant de celui que je considère comme le plus grand géomètre vivant. Je me souviendrai toujours des charmantes relations que j'ai eues avec vous en qualité de doyen. .On vous trouvait toujours disposé à rendre service à un collègue, à accomplir ponctuellement les tâches, quelquefois ingrates, qu'on vous confiait. Avec des hommes tels que vous, la Faculté allait toute seule. 11 y a plus : lorsque la considération du bien du service m'a déterminé à vous demander de changer d'enseignement, vous l'avez fait sans hésitation, une première fois pour prendre la chaire de physique mathématique, une seconde fois pour passer à celle de mécanique céleste. Et ainsi, j'ai aujourd'hui la joie et l'orgueil de penser que j'ai pu avancer le moment où, en même temps que grand géomètre, vous avez été proclamé par tous grand physicien et grand astronome. Pourquoi la Faculté ne possède-t-elle pas une chaire de philosophie scientifique ? J'aurais pu vous demander aussi de l'occuper. » Ces paroles achèvent de caractériser Poincaré comme professeur. La veille du jour où il entra dans la maison de santé, il vint au conseil de la Faculté, lire, sur les travaux d'un candidat à une chaire magistrale, un rapport qui frappa vivement tous nos collègues, par la puissance et la profondeur de ses aperçus généraux sur la théorie des groupes ; Poincaré a ainsi rempli, jusqu'à la fin son