Annales des Mines (1912, série 11, volume 2) [Image 69]

Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.

134

DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

Son puissant esprit abordait tous les problèmes et les éclairait tous d'une lumière nouvelle. 11 était de ceux, si rares dans l'histoire de l'humanité, qui de la contingence des faits, des notions ou des observations fragmentaires ou isolées, peuvent s'élever jusqu'à la conception même de l'univers, en étudier la constitution et l'évolution, en pressentir jusqu'aux variations. Grâce à cette force d'investigation qui s'étendait à toutes choses, il étudiait les lois du monde intellectuel comme celles du monde physique, et les philosophes aussi bien que les mathématiciens ou les astronomes reconnaissaient en lui leur maître. Une même préoccupation a dominé tous ses travaux, toute sa vie, celle qu'il a exprimée dans cette pensée que rappelait hier un de ses plus éminents confrères : « La recherche de la vérité doit être le but de notre' activité, c'est la seule fin qui soit digne d'elle. » A rechercher ainsi la vérité, cette âme très noble et très belle a goûté des joies profondes, mais en même temps Henri Poincaré a bien servi son pays, en bon Lorrain, en bon Français. Si la mort l'a frappé en pleine vigueur, au milieu de sa tâche, et alors que la science attendait encore tant de lui, son œuvre si vaste et si féconde se continuera dans les travaux qui s'inspireront de sa pensée et de ses découvertes, participant ainsi de l'éternité même des problèmes dont il a poursuivi la solution. Mais il appartient à ses confrères de lui rendre un hommage digne de lui; je n'ai voulu qu'exprimer ici notre douleur à tous, acquitter notre dette de reconnaissance et assurer de notre respectueuse sympathie sa famille si cruellement éprouvée.

DE M. HENRI POINCARÉ

135

DISCOURS DE M. JULES CLARETIE Directeur de l'Académie française.

Messieurs, « De quelle immense proie la mort vient de se saisir ! » Elle me revient aujourd'hui, l'éclatante parole, devant cette tombe trop tôt ouverte. Au nom de l'Académie française, j'ai l'honneur de donner à M. Henri Poincaré le salut d'une Compagnie dont il fut un des membres les plus justement illustres. Lorsque ses confrères appelèrent à prendre place parmi nous le savant que l'Institut avait élu alors qu'il n'avait pas trente-trois ans, c'était à un poète que succédait, ce mathématicien, ce géomètre, ce philosophe, ce lettré, qui était comme un poète de l'infini, comme un aède de la science. Et dès le premier jour, nous étions séduits parla parole singulièrement éloquente dans sa simplicité, dans sa limpidité, de ce maître écrivain qui, connaissant tout, vérifiant tout, éclairait de ses définitions, animait de ses observations, guidait de ses conseils nos recherches, les études de notre langue. Ce n'est pas aujourd'hui, ce n'est pas ici qu'il faut étudier l'œuvre de ce grand homme qui, adolescent à peine, avait jadis gravi du premier coup les sommets. On dira, de multiples et éloquentes voix diront tout ce que le pays doit à ce fils de la Marche lorraine, à cet enfant de Nancy qui a illustré la France. Devant un cercueil l'Académie française ne peut qu'exprimer ses tristesses, et déplorer la perte d'un grand chercheur de vérités, arrêté brusquement dans son admirable labeur.