Annales des Mines (1909, série 10, volume 16) [Image 161]

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LES QUESTIONS OUVRIÈRES

et contribuer à l'institution d'un régime d'assurance obligatoire dont ces sociétés ont été bannies. Mais, tout d'abord, les combinaisons destinées à fournir la sécurité au patron en cas de responsabilité civile sous le régime du droit commun, ont été les devancières des mesures législatives qui ont, telle la loi française du 9 avril 1898, affranchi de tout risque de responsabilité le patron assuré; puis, c'est à l'image des combinaisons d'assurance sur la vie organisées par les sociétés d'assurance en faveur des prévoyants fortunés que l'État s'est proposé d'améliorer, par un système général de retraites ouvrières, la situation des prévoyants à ressources modiques. D'autre part, l'assurance sociale est trop désirable sous la forme libre et trop hérissée de difficultés d'application pour que l'on puisse sans imprudence renoncer spontanément à un concours si fécond en expérience et en lumières. Bien plus, les sociétés d'assurance privées ont un réel intérêt à se charger d'une telle collaboration. En effet : 1° Par une initiative antérieure à toute action législative, elles peuvent éviter l'intervention du législateur qui serait fondé, en cas d'inaction de leur part, à suppléer aux défaillances de l'initiative privée : or cette intervention apporte des entraves à la liberté d'action des sociétés d'assurance et leur impose des sujétions et des dépenses soit parles conditions qu'elles doivent subir, soit par le contrôle qui leur est appliqué; parfois môme elle les exclut, ne fût-ce que par prétérition : telle la loi allemande d'assurance obligatoire contre les accidents ; 2° Par une initiative de cet ordre, elles peuvent rendre leur collaboration indispensable à l'œuvre de la loi, si le législateur intervient ultérieurement ; tel a été en France le cas des sociétés d'assurance-accidents qui existaient avant que la loi du 9 avril 1898 eût institué le risque professionnel et qui, devenues l'un des rouages

ET LA SCIENCE ACTUARIELLE

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essentiels du régime légal, ont vu leur domaine s'étendre et leur situation s'affermir; 3° Par une action postérieure à l'intervention législative, elles peuvent profiter du goût et du besoin de l'assurance que la loi a créés : en effet, l'individu s'accoutume à la nécessité de la sécurité sous l'influence du régime légal qui consacre l'assurance comme un service public ; dès lors, il recherche la sécurité dans toute l'étendue du domaine social dont le législateur n'a défriché qu'une portion : c'est aux sociétés d'assurance qu'il appartient de s'installer sur la portion inexplorée et d'y offrir aux assurés l'organisation qu'ils demandent; elles y trouveront une clientèle facile à recruter et déjà familiarisée avec le mécanisme de l'assurance. Le devoir est, d'ailleurs, en harmonie avec l'intérêt pour commander aux sociétés d'assurance privées l'exploitation du domaine social. L'importance des capitaux qu'elles détiennent leur impose les obligations que comporte l'exercice du rôle social de la fortune ; la valeur des expériences qu'elles ont réunies sur le terrain de la technique les classe au nombre de ces privilégiés qui ne peuvent sans félonie se désintéresser du sort des moins favorisés; les institutions qu'elles peuvent créer fournissent aux classes laborieuses et aux chefs d'entreprise les moyens de satisfaire plus largement le besoin de sécurité; leur intervention rend inutile ou vient compléter celle du législateur, évitant de la sorte la mainmise de la loi sur des domaines qui doivent demeurer le propre de l'initiative privée. En d'autres termes, elles peuvent mettre au service de l'assurance sociale des ressources financières et un outillage technique, au service de la collectivité des éléments de sécurité et d'indépendance. En résumé, quelle qu'ait été l'attitude du législateur, les sociétés d'assurance privées ont dans le domaine social une vaste mission à remplir : l'intérêt et le devoir