Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 169]

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nité un- peu bourgeoise et le' sens positif s'accommodaient mal avec son- tempérament dîartiste parisien-. Comme il tenait de son- père infiniment d'esprit et 1 un peu de malice, il se donnait parfois, quant il voyageait' avec ces personnes graves-, le plaisir assez innocent de -les- exaspérer. Tous- ses amis l'ont entendu raconter, à ce- sujet-, de bien amusantes- anecdotes. — « Pourquoi donc, », lui demande un jour-, tout en marchant, lé géologue, très brave-.homme, mais- volontiers- rogne- et sévère, qui l'accompagnait, « pourquoi donc portez-vous- toujours- des guêtres ? » — « Parce que », répond- Bertrand avec le plus grand sérieux, « quand je les quitte le soir, ça me délasse.- »— Une autre fois, c'était avec un autre/ géologue. Le train lès emmenait à Toulon, et l'on voyait déjà, par la portière; s-'ëstomper les- sommets familiers, le Coudon et le Faron. La^ conversation avait beaucoup langui, restant d'ailleurs purement géologique, mais- coupée- çà et- là de brusques boutades de Bertrand qui avaient- un peu- agacé son interlocuteur. Tout à coup, d'une voix, de théâtre, Bertrand s'écrie, en montrant au loin les montagnes- : C'est Faron que voile la brume, Et Coudon, gigantesque enclume, Dont le tonnerre est le marteau !

— -« De qui sont ces- vers ? » demande l'infortune compagnon devenu très nerveux. —. « De moi », réplique Bertrand, du même air impassible qu'il eût pris pour parler du Trias-, Au retour de ce voyage, le compagnon disait à qui voulait l'entendre que « Marcel Bertrand serait charmant, en courses, sans sa déplorable manie de toujours citer des- vers ». J'en connais d'autres qui, après les étonnements du premier jour, ont tout aimé do Marcel Bertrand et qui l'eussent suivi jusqu'au bout du- monde ; qui rangent parmi les meilleurs souvenirs de. leur jeunesse la mémoire é*P

MARCEL BERTRAND

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heures charmantes passées, sur un sommet, dans :un ravin, -au .bord d'une :route>en [plaine,, ou le soir dans une salle d'auberge, à - écouter le Maître.avec .une -attention jtaistiionnée, soit <qmil -parlât de géologie générale, soit -qu'il essayât de rendre -conmte 'de da -structure -de doute une région, «oit-quïil .plaisantât ,gaiement- et innocemment kurdes .hommes et les choses, soit qu'il-se laissât -entraîner dansdeuloinaine .de la ^spéculation philosophique, ;soit qu'il prit plaisir >à -ca»sor littérature et poésie. C'est à ceux-là qu'il s'est montré tel qu'il était, dans sa bonhomie rieuse qui n'était qu'une forme gaie -de .la bonté, ■dans l'i-aconiparable vigueur ^de so dialectique,, f dans sa géniale perspicacité d'observateur f&t dunterqjirete, dans •sa vaste érudition et sa>compréhension plus vaste encore, dans la délicatesse *de ses ^sentiments intimes- qu'iFcachait d'abord par une-sortede pudeur instinctive, dans-toute. la richesse <enfm< de sa-'merveilleuse<«ature,<dans tout ce qui faisait de lui um exemplaire choisi et trace d'humanité perfectionnée et quasi -surhumaine. -Ce sont ceux-là, surtout, qui ont compris quelle perte -immense la Science 'a faite, en 190Û, quand brusquement Marcel Bertrand s'est arrêté dans sa dâche -et ^a cessé de produire; ce sont couxdà qui ont porté et qui portent encore son -deuil, et qui restent inclinés, avec une infinie .commisération, une sympathie respectueuse et .tendre, devant la douleur inexprimable-dé sa veuve -et de -ses filles. Un soir de l'été, de 181)0,.dans les Alpes de Savoie, au pied 'du iglacier de Gébroutaz, par 2.200 mètres d'altitude, près :du chalet du Saut-ou nous devions passer la m, t j'attendais MareeFBertrand. Nous. nous étions quittes la veille '-en nous assignant réciproquement ce irendezv ous, Nous avions compté sur -un gite - convenable : hélas! ,e f 'Lalet n'avait plus < de toiture, et les dernières planches ( c ' la porte désormais inutile se consumaient dans le feu roaigre où, -sous les yeux de nos guides, notre souper