Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 150]

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plissé ïécorce terrestre et sur le râle des déplacements horizontaux, Mémoire qui est une monographie des plis couchés de la Provence et une comparaison de ces [dis couchés avec ceux que l'on a décrits depuis peu dans les Alpes, dans les Pyrénées, dans lés anciennes chaînes; et il reçoit de l'Académie le prix Taillant en récompense de ce livre admirable. En 1891, il est président de la Société géologique, dirige, au mois d'octobre, les excursions de la Réunion extraordinaire en Provence, et a la joie, difficilement comparable, d'expliquer à des géologues la structure de la contrée qu'il a si patiemment et si péniblement étudiée et comprise, de leur montrer, un par un, les phénomènes qu'il a lui-même observés, de répondre victorieusement à toutes leurs objections, et de produire peu à peu la conviction chez la plupart de ses compagnons de courses, en dépit d'une contradiction ardente qui ne désarme que le dernier jour. 11 a commencé en 1889, après la mort de Charles Lory, l'étude des Alpes de Savoie, et il y revient chaque année, explorant d'abord la Maurienne, puis la Tarentaise, et dessinant les contours des feuilles Saint-Jean-de-Maitrienne, Bonneval et lignes de la Carte géologique détaillée. En 1891, dans les premiers jours d'août, il a failli périr au fond d'une crevasse du glacier de Rhêmes, ayant été imprudemment engagé sans corde, par son guide, dans la traversée de ce glacier, et s 'étant laissé choir dans l'écroulement d'un pont de neige (*). Mais il « « « « « « « « «

(*) « Imagine-toi — écrit-il le o août 1891 à M"' Bertrand — que je suis tombé dans une crevasse et que je suis resté un peu plus d 'une heure, à 13 mètres de profondeur, pris entre deux parois de glace, et libre d'admirer la beauté des reflets bleus et des stalactites. On m 'en a tiré, puisqule je t'écris, sans rien de cassé, sans autre mal que quelques égratiguures faites par les glaçons que détachait la corde pendant qu'on me remontait La neige a cédé brusquement quand j'ai passé dans les traces du guide et de H... J'ai senti mes jambes s'enfoncer, puis je n'ai plus eu conscience de rien qu'en me retrouvant au fond, heureusement dans une position verticale, les pieds dans

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en a été quitte pour un bain affreusement froid, et ensuite pour un repos de quelques jours au presbytère de NotreDame-de-Rhèmes ; et il a repris ses courses en montagne dès le mois de septembre du même été. C'est que la tâche est ardue et longue. Charles Lory, qui a beaucoup travaillé, a laissé beaucoup à faire, bien qu'il ait vu assez nettement deux choses fort importantes : la disposition en éventail de la zone houillère, et l'âge secondaire du puissant complexe métamorphique que l'on embrasse sous le nom de Schistes lustrés. Préciser la stratigraphie du Trias et du Lias; résoudre la question, soulevée en 1861 par Lâchât etreprise en 1887 par M. Zaccagna, de l'âge houiller ou permien des schistes métamorphiques du Petit-Mont-Cenis, de Modane, de la Vanoise, du MontPourri, du Yal-Grisanche ; établir rigoureusement l'âge des Schistes lustrés, non plus sur des arguments douteux et sur des coupes contestées, mais sur une base solide et inébranlable ; suivre vers le nord l'axe de l'éventail carbonifère ; démêler l'écheveau embrouillé des lignes directrices dans une des régions les plus compliquées de la chaîne des Alpes : tel est, avec le levé des contours géologiques, le programme des continuateurs de l'œuvre de Lory. Entre eux tous, Marcel Bertrand divise le travail; et il reste, avec chacun de ses collaborateurs, en commu« l'eau et retenu par les coudes et les épaules... Je ne te dirai pas qu'on « soit bien dans une crevasse: mais, comme j'ai eu tout le temps pleine « confiance d'en sorlir, je n'ai pas passé une heure aussi atroce qu'on « pourrait s'imaginer R... est resté au haut de la crevasse (pendant « que le guide allait chercher du secours), bien plus angoissé et malheu« reux que moi, me faisant une conversation un peu dénuée d'intérêt, « mais enfin m'empêchant d'être seul. A tout hasard, je lui avais enjoint, « s'il m'arrivait malheur, de t'écrire que j'avais pensé à toi au fond de « ma crevasse. J'espère qu'en aucun cas tu n'en aurais douté »— Sauf quelques douleurs et roideurs dans les mollets, Marcel Bertrand ne garda de cette aventure aucune infirmité. 11 resta le marcheur infatigable qu'il était auparavant, et c'est dans les années 1892 et 1893 qu'il fit, dans les Alpes, ses plus grandes courses et ses tournées les plus fatigantes.