Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 149]

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livre « a marqué dans l'histoire de la Géologie la fin du « premier jour, celui où la lumière fut ». Le 21 mars 1887, dans une éloquente conférence à la Société géologique, il résume l'œuvre synthétique de Suess et montre les trois zones de plissement, les trois chaînes de montagnes, la calédonienne, l'hercynienne et l'alpine, qui, pareilles à trois vagues appelées successivement de la région méridionale et déferlant chacune à son tour sur l'obstacle situé au nord, ont formé graduellement, et comme en trois étapes, le continent européen. Mais le conférencier ne se contente pas de résumer le livre du professeur de Vienne; il y ajoute beaucoup de réflexions personnelles, étant de ceux qui ne savent ni s'arrêter en chemin, ni se contenter d'un demi-jour; et c'est ainsi qu'il nous apprend, pour la première fois, que « la considération des trois « chaînes successives permet de grouper dans une vue « d'ensemble les particularités des phénomènes sédimen« taires aux différentes périodes ». Cette idée directrice ne l'abandonnera plus ; nous la retrouverons dans toute son œuvre ; et ses derniers travaux, en 1900, auront encore pour objet la coordination de tous les phénomènes géologiques autour de ces déformations intermittentes et répétées du globe terrestre, dont chacune correspond à une chaîne de montagnes. Marcel Bertrand a travaillé pendant tout l'hiver de 1887 à la préparation de sa magistrale conférence du 21 mars. Le retour du printemps le ramène en Provence. Sa tâche dans le Jura est terminée ; les Alpes françaises ne le réclament pas encore. Pendant deux ans, la Provence va être sa grande affaire, sa préoccupation presque constante. Au mois de mai de 1887, il découvre l'explication de Y anomalie stratigraphiqueàxx Beausset, qui, depuis que l'on fait de la géologie en Provence, et depuis que l'on exploite la petite mine de lignite de la Cadière, est une obsédante énigme pour les stratigraphes et les ingé-

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aieurs (*). L'énigme se résout et toutes les difficultés tombent, si l'on admet que le Trias est posé sur le Crétacé, que ce Trias est un lambeau de recouvrement venu d'ailleurs, venu du sud par un pli qui se serait déversé au nord, couché jusqu'à l'horizontale, et qui aurait cheminé plus ou moins loin vers le nord. Peu à peu cette conclusion s'impose à Marcel Bertrand : la Provence est un pays de plis couchés, analogue au bassin houiller franco-belge et aux Alpes de Glaris. Les renversements et les recouvrements ne sont pas limités aux environs du Beausset. La région de Saint-Zacharie, la chaîne de la Sainte-Baume, les environs de Draguignan, montrent des phénomènes analogues, qui restent incompréhensibles tant que l'on n'admet pas des plis couchés, charriés du sud au nord, et de plusieurs kilomètres, sur leur substratum. La fin de 1887 et toute l'année 1888 se passent, pour le jeune professeur, dans l'observation et la description de ces faits étranges, si complètement inaperçus de tous ses devanciers dans la géologie provençale ; et lorsque la Société géologique de France, en 1889, récompense par le prix Fontannes — récemment fondé et qui n'a pas encore eu d'autre lauréat — l'œuvre de Marcel Bertrand en Provence, c'est partout, à l'étranger comme chez nous, un unanime concert d'applaudissements. Alors commence la période brillante et quasi triomphale de cette vie. En 1890, il présente à l'Académie des Sciences un Mémoire sur les refoulements qui ont (*) Attaché moi-même, au début de ma carrière, en 1884 et 1885, au service ordinaire dans le sous-arrondissement minéralogique de Nice, j'ai connu l'énigme de la mine de la Cadière. Tous les ingénieurs qui m'avaient précédé dans ce service s'étaient acharnés à la recherche d'une solution; et le dossier de la Cadière, dans les archives du sousirrondissement, était bourré de notes et de rapports géologiques sur les relations du Trias qui surplombe le gisement lignitifère et du Crétacé qui le contient. Personne, jusqu'à Marcel Bertrand, ne semble avoir eu la moindre idée de la véritable solution, et, quant à moi, je ne l'ai pas entrevue un seul instant.