Annales des Mines (1907, série 10, volume 12) [Image 236]

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LA CATASTROPHE DE COURRIÈRES

La commission s'est demandé toutefois s'il n'aurait pas été possible, à côté du circuit d'aérage 2-3, d'en établir un autre indépendant 11-4 qui eût permis de rentrer sans retard par la fosse 11, pour attaquer le théâtre de la catastrophe par les deux extrémités opposées. Elle a constaté que M. Delafond s'est posé deux fois cette question, d'abord le 11 mars, puis le 10, et que les deux fois il a été conduit à écarter la solution comme dangereuse, à raison de l'impossibilité pratique d'isoler du circuit 11-4 le feu de la fosse 3, considéré comme cause delà catastrophe, et dont on ignorait absolument le développement; les sauveteurs que l'on aurait engagés dans ce circuit auraient été sous la menace constante d'une explosion ou de l'asphyxie par les gaz toxiques de ce foyer d'incendie. La commission ne peut, dans ces conditions, qu'approuver la prudence de M. Delafond. Elle estime que les précédents de nombreuses catastrophes antérieures la justifient pleinement. A l'appui de cette manière de voir, elle se bornera à citer deux exemples entre beaucoup d'autres. Le 12 décembre 1866, un coup de feu avait fait 334 victimes au charbonnage d'Oaks Colliery, Yorkshire, Angleterre. Le lendemain, 13 décembre, les sauveteurs furent surpris par une nouvelle explosion : 28 d'entre eux périrent, et l'on dut fermer la mine, sans en extraire ni les cadavres, ni les survivants qui pouvaient y rester. Le 14 juin 1894, à Karwin (Autriche), une première explosion avait fait 165 victimes. Le lendemain 15 juin, une deuxième explosion tua 70 sauveteurset l'on dut encore fermer la mine. Des précédents de ce genre dictent et légitiment la prudence des ingénieurs qui ont la responsabilité delà direction des travaux de sauvetage, et cette prudence s'impose particulièrement lorsque, comme c'était le cas, on croit, à tort ou à raison, qu'il ne reste aucune chance de sau-

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ver des vivants et qu'il s'agit uniquement d'aller relever des cadavres. 3° Consultation insuffisante des délégués à la sécurité des ouvriers mineurs, des forions et chefs porions et des ouvriers eux-mêmes. A l'occasion de la discussion de la question précédente, M. Cordier, membre de la commission, a fait remarquer que, dans l'espèce de conseil réuni par M. Delafond pour examiner la situation, on a convoqué ou admis des ingénieurs ou des directeurs de compagnies houillères, mais qu'on a omis d'y appeler les porions survivants et les délégués à la sécurité des fosses intéressées. MM. Cordier et Evrard ont ensuite précisé dans les termes suivants leur pensée sur ce point : « Nous devons faire observer tout d'abord qu'au conseil d'ingénieurs tenu à Courrières-exploitation le 11 mars, le lendemain de la catastrophe, conseil auquel assistaient vingt-cinq ingénieurs, on ne fit appel aux lumières, à l'expérience et aux connaissances pratiques d'aucun délégué mineur. » Et plus loin : « Le 16 mars... un nouveau conseil des ingénieurs du corps des mines et d'ingénieurs des compagnies voisines se réunit... Malgré les ordres du ministre, les délégués mineurs ne sont pas consultés, etc.. » La majorité de la commission fait remarquer d'abord que c'est à tort que MM. Cordier et Evrard invoquent des ordres du ministre qui n'auraient pas été observés. A la date du 15 mars, une dépêche de M. le ministre des travaux publics a invité M. l'inspecteur général Delafond à « poursuivre l'enquête, en associant à cette enquête le concours direct des délégués mineurs des circonscriptions intéressées ». A aucun moment M. le ministre n'a donné à M. Delafond l'ordre de consulter les délégués mineurs sur l'organisation des opérations de sauvetage.