Annales des Mines (1901, série 9, volume 19) [Image 178]

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DISCOURS PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES DE M. MOUTARD

auxquelles il fut fidèle pendant toute sa vie et qui en firent l'ami de Gambetta, de Jules Ferry, de ScheurerKestner, etc., pour ne nommer que ceux que la mort nous a enlevés avant lui. En 1852, le jeune ingénieur des Mines fut mis en demeuré de prêter serment au gouvernement de Napoléon III, de l'homme qui venait lui-même de violer son serment de fidélité à la constitution républicaine et de. s'emparer du pouvoir par le crime. Moutard refusa le serment exigé. Il fut, bientôt après, par une décision ministérielle du 28 juin 1852, déclaré démissionnaire el rayé des contrôles. Son acte de loyauté et de fierté était d'autant plus digne d'estime que le jeune ingénieur était sans fortune et qu'il lui fallut aussitôt chercher à gagner sa vie par le travail de chaque jour. Il se lança résolument dans l'enseignement libre et, grâce à ses merveilleuses facultés de professeur, il y réussit au-delà de toute attente. Il fut répétiteur et bientôt professeur dans différentes écoles préparatoires, notamment à Sainte-Barbe, où il forma aux mathématiques un grand nombre de promotions de candidats pour les écoles supérieures. Beaucoup de ses anciens élèves ont conservé le souvenir de sa parole chaude, de sa clarté d'exposition, de sa hauteur de vues, de la façon dont il ouvrait de clairs aperçus sur les questions même qu'il ne traitait pas en détail. L'un d'entre eux, qui est un savant, membre de l'Académie des Sciences, me parlait hier même avec admiration de l'entraînement qu'exerçaient ses leçons. « Il savait si bien, me disait-il, passionner ses élèves, que la salle des cours, pouvant contenir une centaine d'auditeurs, était toujours pleine et que même les moins studieux des élèves ne manquaient jamais d'y venir, de l'écouter et de l'applaudir. » Cependant, à la longue, il commençait à se fatiguer

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de l'enseignement préparatoire ; il pensait vaguement à changer de carrière et laissa voir un jour son hésitation en causant avec un de ses amis intimes, le capitaine Mannheim ; c'était en 1867. « Vous devriez, lui dit son ami, vous présenter k une place de répétiteur à l'École Polytechnique ». « C'est impossible, répondit-il; car je ne serais admis qu'en prêtant le serment que j'ai refusé, et je n'y consentirai pas » . Sans lui rien dire, son ami alla trouver le général de l'Ecole Polytechnique et lui fit part de sa conversation avec Moutard. « Eh bien, répondit le général Favé, qu'il se présente et, s'il est agréé parle Conseil, je vous promets de ne lui demander aucun serment. » Ces paroles, que je suis heureux de rappeler ici, font le plus grand honneur au général Favé, en même temps qu'elles témoignent de l'estime qui s'attachaitau caractère et au mérite de Moutard. A l'unanimité, le Conseil lui fut favorable. C'est ainsi qu'il fut nommé répétiteur à l'Ecole Polytechnique, où il ne tarda pas beaucoup à devenir examinateur d'admission et où il fut ensuite, pendant vingt ans, examinateur de sortie (1877-1897). Il montra dans ces fonctions d'examinateur des qualités remarquables, comme dans celles de professeur. 11 avait une manière à lui d'interroger les élèves, de • les pousser, de les presser, même un peu rudement, pour .se rendre compte, non pas seulement de leur mémoire et de leur acquis, mais de leur capacité et de leur valeur personnelle. Quelquefois, on eût dit qu'il cherchait, par le choc, à faire jaillir l'étincelle du silex. Sa façon de brusquer et de tancer les candidats, parfois ceux qu'il jugeait les meilleurs, a donné lieu à une foule d'anecdotes, devenues légendaires. Mais souvent