Annales des Mines (1891, série 8, volume 19) [Image 271]

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LES SALINES ET LES PUITS DE FEU

travail dépensé. Une noria mieux disposée pourrait donner les sept ou huit dixièmes du travail moteur. Plusieurs fois des Européens ont proposé aux indus-

triels chinois des modifications utiles ; la plupart du temps, ils se sont heurtés à cette réponse : « Non, non, il faut que la machine soit ainsi construite pour que ça marche ! S'il y avait mieux, est-ce que nos pères ne l'auraient pas inventé? » Tout l'orgueil et toute la routine chinoise sont dans cette réponse. Ajoutons du reste que

ceux qui s'aviseraient de se lancer dans le progrès, d'utiliser quelque perfectionnement, pourraient avoir à, s'en repentir. Un jour, il y a de cela quelque vingt ans, un Cantonnais qui avait 'couru le monde arriva aux Salines. Jadis au service des Américains, il avait eu le loisir de voir des machines mieux faites. Il finit par persuader à un industriel de ses amis de corriger sa noria. Le travail réussit si bien qu'avec la nouvelle machine on arrivait à un rendement presque double. L'infortunée ne fit pas longue vie. Les autres industriels par jalousie, les porteurs d'eau par crainte de se voir enlever leur gagne-riz, firent complot, et un beau jour, armés de pics et de bâtons, ils vinrent tout démolir. Le mandarin punit pour la forme et le plus légèrement possible quelques coupables parmi les pauvres diables, ne fit donner aucune indemnité au lésé, et enga-

gea celui-ci à ne plus faire des machines qui n'étaient pas dans le goût du peuple. Les norias sont donc restées avec leurs défauts. Une seule avec ses accessoires coûte 1.000 ligatures d'installation. La dépense annuelle d'entretien, personnel et mulets, est aussi d'environ..1.000 ligatures. Il est rare qu'une seule noria suffise pour élever l'eau à la hauteur voulue. On en dispose donc toute une série. Des caisses coniques en bois garnies de ciment hydraulique servent d'intermédiaires aux changements trop

DE LA PROVINCE DU SE-TCHOAN.

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brusques de direction ; d'autres reçoivent les eaux de plusieurs norias. Les tuyaux de conduite sont en bambous rajustés et

enduits de mastic, comme les tuyaux protecteurs. Ils sont munis extérieurement d'une armature en treillis de lanières de bambou fortement serrée. On les voit tantôt simplement posés sur le sol, tantôt enfoncés sous terre, tantôt installés sur des chevalets et des tréteaux, où ils tiennent comme ils peuvent ; parfois même ils passent la rivière sons l'eau. Pour cela les Chinois, pendant les basses eaux d'hiver, taillent un petit canal dans le rocher qui forme le lit de la rivière, ou bien ils l'établissent avec des pierres de taille. Les tuyaux une fois placés dans ce canal, ils recouvrent le tout de vieilles cuvettes de salinage renversées. Les plus fortes eaux ne peuvent les emporter ni détériorer les tuyaux. Les propriétaires des terrains où passent ces conduites se font payer une location ou indemnité C'est ordinairement une redevance annuelle d'un prix assez élevé, bien supérieur à ce que pourrait rapporter la culture de ce terrain. Comme il y a des conduites de tous côtés, on conçoit que la culture n'est pas facile ; du reste, en laissant simplement croître l'herbe, les propriétaires se font

un bon revenu presque sans aucun travail, ce qui est l'idéal de tout bon Chinois. Le nombre considérable de buffles et de mulets employés aux salines maintient en effet le prix de l'herbe fraîche à un taux assez élevé, dans un pays où le foin SQC, le trèfle et la luzerne sont inconnus. En 1884, année de sécheresse, l'herbe fraîche s'est vendue jusqu'à huit sapèques la livre; le prix ordinaire est de deux à trois sapèques. En comptant toutes les dépenses d'installation et d'entretien, l'ensemble d'une série de norias avec ses conduites représente le revenu d'un capital de cinq à six ouan d'argent au moins et de dix ouan au plus.