Annales des Mines (1875, série 7, volume 8) [Image 147]

Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.

290

EXPOSE DES TRAVAUX

DE M. ÉLIE DE BEAUMONT.

près invariable. Les végétaux et les animaux meurent ou sont dévorés sur place, et leur phosphore retourne au sol qui l'a fourni. Au contraire, dans les pays cultivés depuis longtemps, il n'y a pas de parcelle de phosphore qui n'ait passé à plusieurs reprises clans l'estomac de l'homme et des animaux; en décrivant ce cycle qui la ramène périodiquement dans la terre végétale, elle peut rencontrer des

qui, sans notre intervention, aurait été rendue à son rôle naturel ; nous diminuons lentement, mais incessamment

causes qui tendraient à la détourner et à la précipiter clans l'Océan. Les eaux pluviales, en courant à la surface des champs, s'y chargent bien plus de matières minérales qu'elles n'en enlèveraient à une lande ou à une forêt ; de là un déchet dont profitent les parties basses des vallées par l'effet du limon que déposent les inondations, mais qui va en grande partie s'engloutir dans la mer.

Cette perte inévitable, la nature la répare par deux moyens, par les alluvions d'une part (et c'est à cette cause que la vallée du Nil et celle du Gange doivent leur éternelle

fécondité), par les phénomènes volcaniques de l'autre. Tandis que la plus grande partie de la Sicile est devenue l'asile de la misère, les pentes de l'Etna, incessamment rajeunies par les cendres et les laves, offrent, au contraire,

l'aspect le plus riant. Le Vésuve, l'Etna et Santorin sont couverts de riches vignobles, qui puisent leur phosphore dans les cendres et les laves décomposées sur lesquelles ils croissent.

Ces procédés, parfois un peu terribles, que la nature emploie pour se rajeunir, ne sont pas à la portée de tous, et si nous ne voulons pas voir les champs fertiles de la Beauce et de la Brie frappés à leur tour' de dépérissement, nous devons leur restituer chaque année le phosphore que leur enlèvent les récoltes. C'est un devoir d'autant plus étroit que par nos moeurs mêmes nous hâtons cet appauvrissement. Le respect dont nous entourons les restes de nos ancêtres a cette Conséquence que nous retirons tous les jours de la circulation une certaine quantité de phosphore

291

ainsi, le fonds de roulement de la vie; nous restreignons le nombre des graines, des animaux et des hommes mêmes que la terre peut nourrir. Chaque million d'hommes dont

les restes sont ainsi écartés de la circulation représente 400.000 kilogrammes de phosphore, c'est-à-dire le phosphore contenu dans 200 millions de kilogrammes de blé, ou dans la récolte annuelle de 200. 000 hectares.

Vous saisissez dès lors quelle importance sociale présente la connaissance des gisements de phosphore, ou, pour être plus rigoureux, des substances phosphorées. En dehors de la source, on peut dire permanente, des foyers volcaniques, il en existe heureusement d'autres, fruit

des économies de la nature dans les temps passés, et qui dans le budget général de la -terre pourraient représenter l'excès de ses recettes en phosphore sur les dépenses .nécessaires à l'entretien de la vie. Tantôt ce sont les restes mêmes d'animaux éteints depuis longtemps, tantôt des coquilles dont l'intérieur se trouve rempli de matières trèsriches en phosphore. A l'époque ou Élie de Beaumont avait tracé la carte géologique de la France, l'attention publique était peu portée vers ces questions. D'illustres chimistes, et en particulier celui (*) qui pendant longtemps fut l'ami et le collègue d' Élie de Beaumont, avaient signalé le danger- et fait connaître

ces lois inexorables, prouvé que l'homme, impuissant à rien créer, est astreint, sous peine de déchéance, à ne rien laisser perdre. Mais la masse des agriculteurs ne se préoccupa que tardivement de l'importance des phosphates. Comme il arrive toujours en pareil cas, les besoins furent d'autant plus étendus qu'ils avaient été méconnus plus (*) Dumas, Statique chimique, etc., passim.