Annales des Mines (1874, série 7, volume 6) [Image 207]

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NOTICE NÉCROLOGIQUE

qu'il devait avant tout en ressortir des avantages sérieux au

profit du public, et qu'on n'avait pas concentré dans ses mains la direction d'un service aussi large et aussi complexe, sans attendre de lui des améliorations dans chacune de ses branches et dans son ensemble. S'il n'est point aisé de créer de toutes pièces une exploitation bien ordonnée, peut-être l'est-il moins encore de ramener à un type unique des procédés divers, souvent en désaccord les uns avec les autres. La compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée, telle qu'elle venait de se former, était un composé d'éléments très-multiples : elle avait fini par réunir dix sociétés différentes, ayant chacune ses règlements et ses habi-

tudes propres, non moins variées que les populations desservies et les climats traversés. Le travail d'unification était une tâche aussi délicate que nécessaire. M. Audibert sentait qu'il fallait, tout en pliant le personnel aux règles que son expérience lui avait fait reconnaître pour fondamentales, respecter, dans la mesure du possible, les usages locaux, les légitimes exigences de telle ou telle industrie, et que, pour cela, tout en fortifiant l'autorité du pouvoir central, il fallait laisser aux agents délégués en province assez de liberté pour que chacun pût utiliser son initiative, sans nuire à l'harmonie de l'ensemble. Il fallait, si l'expression est permise, imprimer au service des lignes qui, partant de Paris, divergeaient vers la Suisse, l'Italie, la Provence, le Languedoc, l'Auvergne, mie couleur uniforme, sans exclure les nuances. Tel était le problème que M. Auclibert s'était posé, et dont la solution exigeait la réunion des qualités les plus rares et surtout les plus rarement unies : la décision, l'esprit de suite, la patience, la netteté de commandement, le tact, la connaissance des hommes et l'art de les manier, parfois la sévérité et le plus souvent une grande bonté. Il les déploya toutes et réussit dans sa tâche, à la satisfaction de tous les juges compétents, et au grand profit des intérêts publics et privés dont le soin lui avait été commis.

SUR M. AUDMERT.

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Naturellement doué des aptitudes les plus heureuses, possédant une grande facilité et une grande puissance de travail, M. Audibert -avait acquis une instruction très-solide et très-étendue ; il savait beaucoup et savait bien. Il se

tenait au courant de toutes les oeuvres intellectuelles, à quelque ordre d'idées qu'elles appartinssent. Les exigences de ses fonctions l'avaient à peu près fait renoncer aux distrac-

tions du inonde ; mais, quand il consentait à se montrer dans quelque réunion, toujours peu nombreuse, on était frappé de l'entendre causer art, littérature, musique, avec une connaissance des oeuvres et une sûreté d'appréciation qu'on aurait à peine attendues d'hommes spéciaux ; aussi sa plume et sa parole échappaient-elles à la sécheresse et à la monotonie qui sont l'écueil des sujets techniques. Dans le

conseil, il exposait avec une grande lucidité, il discutait avec conviction et avec vivacité, mais sans roideur. Sa correspondance était simple, nette, ses ordres clairs et précis,

ses rapports aux assemblées explicites et logiques; qu'il parlât ou qu'il écrivît, il avait l'expression propre, la forme heureuse, le terme choisi. Sa haute taille et son attitude très-droite lui donnaient un aspect un peu sévère, qui s'adoucissait aux premiers mots de l'entretien ; la courtoisie de son langage modifiait tout de suite la première impression, et il ne fallait pas l'entendre longtemps pour subir le charme de son esprit et apercevoir la bonté de son coeur, en sorte que le fond ne contribuait pas moins que la forme à

l'ascendant qu'il exerçait et avait besoin d'exercer sur le personnel énorme dont il lui fallait assurer l'obéissance. L'une de ses' premières préoccupations, lorsqu'il fut devenu le chef de cette véritable armée de travailleurs de tout ordre qui dépassait le chiffre de 5o. 000 agents, fut de donner à chacun d'eux la sécurité d'une retraite ; il n'hésita pas à réclamer et il n'eut, d'ailleurs, pas de peine à obtenir de la compagnie, à cet effet, des sacrifices considérables. Comme beaucoup d' oeuvres philanthropiques,