Annales des Mines (1874, série 7, volume 6) [Image 114]

Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.

2o6

DE M. ÉLIE DE BEAUMONT.

DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

rue de Beaune, tenant compte de la direction du vent et

augurant bien du progrès de l'armée calculé d'après le bruit du canon, je jugeai que je n'avais rien de mieux à faire que de me mettre au lit. Le matin, en effet, à mon réveil, Stock (*) m'apprit que les soldats occupaient le

DISCOURS DE M. DE CHANCOURTOIS, Ingénieur en chef des mines, Professeur-adjoint de géologie à l'École des mines, Sous-directeur du service de la Carte géologique détaillée de la France.

Des voix éloquentes, des voix plus autorisées que la mienne, ont retracé à grands traits la glorieuse carrière de M. Élie de Beaumont, et ce n'est pas le moment de chercher à compléter le tableau des services rendus par le Maître

illustre que nous venons de perdre. Mais, associé depuis plus de vingt ans à son enseignement de r École des Mines et son lieutenant dans l'entreprise de la Carte géologique détaillée de la France, je ne saurais me dispenser de lui adresser ici un suprême adieu, de parler au nom de nos collaborateurs. Je m'acquitterai de ce devoir en disant d'abord quelques souvenirs personnels qui, bien que pris dans les conditions

de l'intimité, me semblent de nature à faire ressortir

la

fermeté et l'élévation de son caractère.

Lorsque les réquisitions de la Commune rendirent le séjour de Paris impossible pour la plupart des fonctionnaires, je parlai naturellement à M. Élie de Beaumont des dangers qu'il allait courir s'il persistait à rester à son poste de Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Il inc .1épondit simplement : « Je resterai tant qu'on ne me chas-

sera pas. » Il n'y avait plus à insister, je savais qu'une résolution exprimée par lui était inébranlable. Pourrai-je rendre avec autant de précision la simplicité du récit qu'il me fit ensuite des périls de la dernière nuit? Je travaillai, me dit-il, comme d'habitude jusqu'à deus heures; j'allai regarder alors par une fenêtre de la rue

de Lille, et voyant que l'incendie ne dépassait pas

207

la

quartier. » Un autre souvenir plus ancien et d'un genre bien différent. J'allais voir M. Élie de Beaumont le soir du jour où il avait été élu Secrétaire perpétuel. Je, le trouve plus que sérieux, presque triste, et il arrête mes félicitations par ces mots : « C'est là un grand honneur assurément, mais peutêtre aussi un grand malheur pour moi. » Quel temps lui laisseraient pour ses travaux personnels les nouvelles fonctions dont il se trouvait chargé ? Telle était sa préoccupation, où se reflétait sans doute le sentiment du devoir, mais où perçait aussi une passion. Qui oserait la lui reprocher? Ne s'agissait-il pas pour lui de développer son admirable conception du Réseau pentagonal, cette condensation des propriétés des cinq solides réguliers qui, restées sans usage depuis leur découverte par Pythagore et Platon, apparaissent, grâce à un nouvel effort de grand génie, comme les principes de la configuration de l'Écorce terrestre? Ses craintes étaient exagérées, et non-seulement il a pu achever les énormes calculs trigonométriques nécessaires

pour rendre applicable la théorie du Réseau, mais il lui a été donné de voir germer, ailleurs même que dans les travaux de ses disciples, une de ces semences dont la culture pratique est d'autant plus profitable que la semence même est le fruit d'une science plus abstraite; d'obtenir, par la (*) L'excellent serviteur qui n'avait pas quitté M. Élie de Beaumont depuis le jour où, en 1836, il lui avait servi de guide dans le Tyrol.