Annales des Mines (1853, série 5, volume 3) [Image 417]

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autre décret substitua à une jouissance illimitée celle de douze

ans, à l'expiration desquels les concessions revenaient à la couronne, qui les concédait de nouveau. A peine le bruit de nouvelles découvertes surpassant en richesse tout ce que les alluvions aurifères de la Russie donnaient jusqu'alors, se fut-il répandu, que des centaines de compagnies se portèrent sur les affluents orientaux du fleuve Yénisséy et dans les monts Sayanes. Une activité immense surgit en Sibérie : les chercheurs se dispersaient de tous côtés, tant pour faire des approvisionnements que pour enrôler des ouvriers, dont le chiffre montait déjà, en i8(ti, à près de 8 000 hommes. La plupart de ces ouvriers étaient des colons-déportés : d'autres pour y venir

travailler pendant quelques mois d'été, abandonnaient leur vie nomade dans les steppes des Kirghizs; il y en avait même qui parcouraient à pied des espaces de plus de douze cents lieues et venaient des provinces centrales de la Russie d'Europe pour se mêler aux travaux des mines. Ces migrations sont

d'autant plus extraordinaires, qu'avec le commencement de l'hiver les ouvriers venus de la Russie retournaient dans leurs foyers pour les quitter bientôt de nouveau et reprendre au printemps les travaux qu'ils avaient abandonnés quelques mois auparavant. Rien ne pouvait les arrêter : ni la rudesse du cli-

mat, ni la dureté des travaux, ni la distance, iii les idées fausses qu'on avait de la Sibérie, comme d'un lieu d'exil. Les difficultés qu'avaient à surmonter les chercheurs d'or

pour exploiter leurs découvertes et faire des recherches de nouveaux gîtes, étaient considérables. Les riches alluvions se trouvaient dans un pays encore vierge, traversé quelquefois en hiver par des populations mi-sauvages s'occupant de la chasse. Les épaisses forêts qui couvrent le sol entretiennent une humidité constante dans l'atmosphère, en sorte que non-seulement les vallées, mais les versants des montagnes offrent bien sou-

vent des marais impratbables qu'on ne peut éviter qu'en faisant de grands détours. Quelquefois, à cent lieues et même plus à la ronde, il n'y avait pas une habitation humaine; aucune route n'était pratiquée à travers ces endroits sauvages, en

sorte que les transports ne pouvaient se faire qu'à dos de chevaux, qu'un sentier, battu par les chercheurs d'or eux mêmes, conduisait au lieu de l'exploitation. L'hiver venait en aide à ceux qui avaient des capitaux, pour faire leurs approvisionnements en été sur les bords du Yénisséy, où ils devaient

821 les laisser jusqu'à la prise des rivières, pour exécuter ensuite le transport sur place en traîneaux. Voilà pourquoi le prix du pain revenait énormément cher aux exploitants. Le sol de la Sibérie est d'une richesse surprenante, il offre au laboureur une moisson abondante; aussi les provinces voisines des gîtes, tant dans la Sibérie occidentale qu'orientale, suffisent-elles à l'approvisionnement en blé des chercheurs d'or. La viande, ainsi que les bêtes de somme, étaient fournies par les Kalmoucks et les Kirghizs, chez lesquels on venait chercher le bétail qu'on conduisait aux exploitations. Enfin les machines et tous les instruments étaient fournis par les usines de l'Oural et transportés, tant par eau que par terre, aux points où l'on en avait besoin. Le travail commençait ordinairement avec le mois de mai et BULLETIN.

finissait dans le commencement de septembre, époque où l'hiver s'annonce par la chute des neiges. Bien des exploitants cependant ne s'en effrayent pas, ils continuent leurs travaux même au milieu de l'hiver, qui, donnant assez de consistance aux terrains marécageux, les rend plus faciles à exploiter. On les dégèle en les exposant au feu, puis on les soumet au lavage avec de l'eau tiède. Le combustible, se trouvant sur place, ne coûte presque rien. Rien de plus surprenant que de voir les pauvres travailleurs supporter ces rudes travaux de l'hiver, n'ayant pour tout abri que quelques huttes faites avec des branches d'arbres et que la nature elle-même prenait soin de garantir des intempéries, en les couvrant d'une épaisse couche de neige. Dans les contrats passés entre les chercheurs d'or et les ouvriers on indiquait le nombre de brouettes de sable que devait

extraire par jour chaque ouvrier. Sa tâche remplie, il était libre, ainsi que les dimanches et les jours de fêtes. L'ouvrier devait avoir sa livre (409 grammes) de viande et son gruau chaque jour, ainsi que du pain et du kwass (i) à discrétion. Il recevait en outre un salaire convenu par mois. Pour prévenir les vols et stimuler le travail, les propriétaires des mines d'or proposèrent des primes pour chaque zolotnik (Ltg,27 ) d'or obtenu en sus du chiffre que stipulaient les contrats. Cette indemnité variait de 57 1/2 à 85 copecks argent par zolotnik (0`,51i à. 0,79 par gramme) , selon la plus ou moins grande ri(1) Petite bière faite avec des farines de céréales.

TOME III, 1853.

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