Annales des Mines (1839, série 3, volume 15) [Image 347]

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JURISPRUDENCE

Le ministre du commerce et des travaux publics, en en-

voyant au garde des sceaux les pièces de l'affaire et les avis du conseil général des mines, 'fit connaître que, sur la question de forme, quant au conflit, il adoptait, ainsi que le directeur général de l'administration, les observations de ce conseil,

mais que ni ce fonctionnaire ni lui ne partageaient son opinion sur le fond duprocès ; qu'ils pensaient, comme l'avait déjà jugé le conseild'état, que la décision du litige appartenait essentiellement à l'autorité judiciaire. Dans l'espèce, disait le ministre, il s'agissait d'une expropriation réelle, non d'une simple privation de jouissance et d'un dommage causé à l'exploitant de la mine. Le chemin de fer pénètre dans les gîtes de Couzon ; il doit en occuper à perpétuité une partie. Il y a donc retranchement de la propriété souterraine qui a fait l'objet de la concession, comme il y a retranchement d'un terrain à ciel ouvert lorsqu'on en prend une certaine

étendue pour y établir une route, un canal ou autre ouvrage d'utilité publique. L'analogie est entière, et il serait impossible de soumettre , à deux modes différents, deux cas aussi exactement semblables. On envisage à tort cette dépossession comme un dommage, comme une privation de jouissance qui laisse au concessionnaire la nue-propriété

de la mine. Un dommage se rapporte à un acte momentané, et ici il s'agit d'un acte qui doit se continuer à perpétuité; une privation de jouissance doit avoir un terme ici elle n'en aura pas. Une nue-propriété doit nécessairement se convertir un jour en une propriété pleine et entière ; dans l'espèce, cette transformation n'aura lieu à aucune époque. En matière d'indemnités, les lois, la jurisprudence, distinguent les occupations temporaires des occupations permanentes. Les premières sont régies par les lois des 28 pluviôse an VIII et 16 septembre 1807, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à la juridiction administrative ; les secondes, les occupations permanentes, sont

essentiellement soumises au régime de la loi du 8 mars 1810, c'est-à-dire au jugement des tribunaux. Dans la circonstance actuelle, l'occupation doit être permanente : c'est

donc aux tribunaux à juger. La disposition du second paragraphe de l'article 7 de la loi du 21 avril 1810, qui interdit la division d'un gîte minéral, n'est nullement applicable au cas dont il est question dans la cause. Dans cet article, le législateur a voulu seulement qu'une con-

cession, dont le périmètre a été fixé dans le but d'une

tES MINES.

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exploitation utile et bien entendue, ne pût pas être morcelée arbitrairement au gré du concessionnaire. Mais puis-4. qu'aux termes de la même loi une mine concédée constitue

pour le titulaire une propriété véritable , certainement on n'a pas eu l'intention de soustraire le possesseur de cette propriété nouvelle à l'obligation générale et commune de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le 14 décembre 1832, une ordonnance royale, statuant seulement sur la question de forme, a rejeté la requête de la compagnie du chemin de fer par une fin de non recevoir l'ondée sur ce que les articles 13 et 15 de l'ordonnance réglementaire du 1" juin 1828, ont déterminé des formes spéciales pour l'instruction des conflits et la défense des parties intéressées, et que les formes ainsi que les délais particuliers établis par cette ordonnance , sont exclusifs du droit d'opposition autorisé dans les affaires ordinaires par le règlement du 22 juillet 1806. De son côté l'autorité judiciaire donnait suite au procès porté devant elle. Les parties produisirent leurs moyens de défense devant le tribunal de Saint-Etienne. Dans un réquisitoire trèsremarquable , et qui a été imprimé, le ministère public

soutint qu'il y avait lieu à indemnité de la part de la compagnie du chemin de fer envers les concessionnaires de Couzon , à raison du préjudice que leur causait la prohibition d'exploiter au-dessous et à une certaine distance du chemin. Il ne lui parut pas que cette prohibition pût être envisagée comme une expropriation : elle ne faisait point passer en d'autres mains la mine des concessionnaires elle leur en laissait la propriété et les privait seulement d'une partie de la jouissance. D'ailleurs, ajoutait-il , dans une expropriation il faut une indemnité préalable ici elle ne pourra être fixée qu'après l'achèvement des travaux du chemin ; d'autre part, une concession de mine n'est pas susceptible de division sans une autorisation du gouvernement. Mais il y a lieu à indemnité , parce que c'est un principe de droit et d'équité que tout préjudice que l'on occasionne exige une réparation, un dédommagement, que

nul ne peut faire sa condition meilleure au détriment d'autrui. Une mine , dès l'instant qu'elle est concédée constitue une propriété entièrement assimilée à celle de la surface. D'un autre côté, un chemin de fer concédé à une compagnie peut être défini, disait le ministère public, une