Annales des Mines (1899, série 9, volume 8, partie administrative) [Image 264]

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avec eux au prix de revient. L'ouvrier n'a plus de risque per. sonnel à subir, de preuves à administrer. Comme son travail le constitue créancier du salaire, tout accident de travail le fait créancier d'une indemnité. Un autre caractère de la nouvelle législation, c'est que les indemnités qu'elle assigne sont transactionnelles et forfaitaires. S'il est fait abstraction, dans la procédure, de la faute qui a pu être commise, le législateur pourtant en tient compte, dans une sorte de compromis, en admettant, au profit de l'ouvrier, qu'il sera toujours indemnisé, et, par contre, au profit du patron, que l'indemnité, ramenée à une moyenne, restera inférieure à la réparation totale du préjudice causé. Ainsi l'indemnité est transactionnelle. Elle est forfaitaire, en ce que la loi n'abandonne pas au juge l'évaluation du dommage : le législateur arbitre à l'avance l'indemnité à allouer; il la détermine selon les conséquences possibles des accidents, qu'il classe en quatre catégories, Transaction et forfait aussi profitables à l'ouvrier qu'au patron, puisqu'ils indemnisent l'un de tout accident de travail en même temps qu'ils ménagent à l'autre la possibilité de calculera l'avance sa dette éventuelle et, dès lors, de s'en couvrir par l'assurance. Ce serait déjà un progrès signalé que d'avoir constitué, dans ces conditions certaines et simples, tout ouvrier victime d'accident créancier d'une indemnité, sauf à laisser le recouvrement de sa créance soumis aux aléas du droit commun. Le Parlement n'a point tenu cette amélioration pour suffisante. S'il n'est pas allé jusqu'à l'assurance obligatoire, qui avait les préférences de la Chambre des députés, il à du moins voulu que, dans tous les cas d'incapacité permanente ou de mort, l'ouvrier ou les siens fussent assurés du payement de l'indemnité. Par l'établissement d'une taxe additionnelle, à la charge de l'ensemble des industriels soumis à l'application de la loi, il a institué un fonds spécial garant de l'insolvabilité éventuelle du chef d'entreprise ou de son assureur. La rente due à l'ouvrier ou à ses ayants droit est ainsi gagée par l'impôt. Enfin le Parlement a entendu notablement abréger et simplifier la procédure en matière d'accidents, au commun bénéfice des parties. En cas d'incapacité temporaire, compétence illimitée des juges de paix en dernier ressort; en cas de mort ou d'incapacité permanente, enquête judiciaire d'office par le juge de paix, procédure sommaire devant le tribunal, réduction des délais d'appel, arrêts rendus dans un délai préfixé, assistance judiciaire accordée dans tous les cas et de plein droit à la victime ou à ses

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ayants droit devant la justice de paix et le tribunal civil, exemption des droits de timbre et d'enregistrement pour tous les jugements etactes faits ou rendus en vertu et pour l'exécution de la loi : autant de réformes dont on ne peut mesurer l'importance qu'en se rappelant les lenteurs et les frais de la procédure antérieurement applicable. Le droit nouveau, dont je viens d'esquisser les traits caractéristiques, n'est pas encore le droit commun : il ne s'applique point aux accidents survenus dans toutes les entreprises. Seules, en principe, les entreprises industrielles s'y trouvent soumises. Il ne s'étend aux entreprises commerciales ou agricoles que si, comportant la fabrication ou la mise en œuvre de matières explosives ou l'emploi de moteurs inanimés, elles exposent par là même les ouvriers à des risques analogues à ceux des entreprises industrielles proprement dites. Par contre, il semble bien que toute l'industrie, sans distinction, soit assujettie. L'article 1er de laloi, dans une énumération très large, vise « l'industrie du bâtiment, les usines, manufactures, chantiers, les entreprises de transport par terre et par eau, de chargement et de déchargement, les magasins publics, mines, minières, carrières ». En vain arguerait-on de l'absence du mot atelier, employé dans d'autres lois, pour soustraire aujourd'hui la petite industrie, l'atelier de menuisier ou de modiste, au régime du risque professionnel. S'il est vrai qu'au début des travaux préparatoires, poursuivis pendant près de dix-huit années, le développement de la production mécanique, les dangers nouveaux de l'outillage employé par la grande industrie ont été surtout mis en avant pour expliquer et justifier l'introduction dans nos lois du risque professionnel, il faut bien reconnaître que l'application de l'idée nouvelle s'est insensiblement élargie, jusqu'à s'étendre à tous les accidents du travail industriel. De celte extension progressive, et pour ainsi dire automatique, on retrouve facilement trace dans les travaux parlementaires. S'il est constant que, dans plusieurs des premiers projets votés, apparaissait l'intention de restreindre d'abord à la grande industrie un essai de la législation nouvelle, les derniers débats montrent avec la même évidence que le législateur a entendu, dans ses votes définitifs, aller, au moins en matière industrielle, jusqu'au bout de la théorie du risque professionnel. En 189a, le rapporteur du Sénat écrivait que la législation projetée tendait à « assujettir toutes les entreprises ou exploitations industrielles ». Il déclarait plus tard à la tribune (séance du