Annales des Mines (1870, série 6, volume 9, partie administrative) [Image 102]

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ENQUÊTE OFFICIELLE SUR LA CONDITION DES OUVRIERS

Voyons cependant dans quel but et pour quels travaux les primes pourraient être utilement proposées. Elles accélèrent la marche des travaux préparatoires, de l'achèvement desquels dépend l'ouverture d'un champ d'exploitation. La plupart des travaux à la pierre sont dans ce cas; il y a profit à les conduire rapidement. Aussi un assez grand nombre d'exploitants du pays de Liège ont-ils pris le parti, que d'autres industriels s'accordent à reconnaître comme très-praticable et probablement avantageux, d'accorder une prime par chaque mètre d'avancement, en sus d'un minimum fixé pour la quinzaine. Le même système est suivi dans certains bassins de France. Il n'est cependant pas exempt de quelques-uns des inconvénients qu'en présenterait l'application aux travaux à la veine. Dans ce cas, malgré l'opinion contraire de plusieurs exploitants, qui supposent que le montant de la prime pourrait être réglé d'après l'importance de l'extraction, il est certain qu'elle viendrait simplement s'ajouter au bénéfice résultant déjà, pour l'ouvrier, de la rémunération à la tâche, et qu'en exagérant le vice de ce mode de rémunération, elle donnerait à craindre « le gaspillage des gisements; en surexcitant outre mesure l'activité de l'ouvrier, on compromet la bonne exécution du travail, la qualité des produits et la sécurité même de l'ouvrier. » Ce sont les propres paroles de quelques directeurs d'exploitation; on n'en peut méconnaître la justesse. Ajoutons que ce système, dans les charbonnages où il a été essayé, « aboutissait à de grandes inégalités de salaires par des causes indépendantes de la volonté de l'ouvrier, et résidant soit dans le havage, soit dans la dureté de la veine, etc. » Aussi a-t-il été abandonné » comme mesure générale. On l'a cependant conservé sur les points où le travail est régulier. » Alors il peut rendre des services dans des moments de presse, de facile écoulement ou d'accidents inattendus, qui laissent l'exploitant embarrassé de satisfaire à des engagements pris. Mais, en général, ce n'est point sur la quantité du produit que doit porter la prime, c'est sur la qualité, la proportion de gros, la propreté du charbon, la régularité du boisage. C'est ainsi que, non-seulement à Liège, mais même dans deux ou trois charbonnages du Hainault, on a établi un système de primes pour le rendement en gaillettes : « Ce système est bon,—dit l'ingénieur principal du centre de celte province; —mais il offre malheureusement» (et cette critique, pouvons-nous ajouter, con-

DANS LES MINES ET USINES DE BELGIQUE.

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cerne aussi bien le travail à la pierre que le travail à la veine) « une difficulté d'appréciation et d'application excessive. Il peut arriver à rémunérer une perfection de travail qui ne dépend pas de la volonté do l'ouvrier et à favoriser ainsi, quoique involontairement, une partie du personnel; dans ce cas, la parlie non favorisée n'accepte pas l'inégalité de rémunération et abandonne le charbonnage, pour peu que celle-ci continue. Ce système ne doit être appliqué que dans certaines circonstances et avec des ménagements qui dépendent des diverses conditions de la mine. »

D'autres systèmes sont proposés comme praticables, par divers exploitants, pour encourager le zèle des ouvriers à la journée. — C'est ainsi qu'une exploitation accorde, par quinzaine, aux plus méritants une prime ou plutôt une gratification équivalente à leur salaire quotidien; —ou bien la diligence des surveillants, maitres mineurs et chefs de poste; ou encore l'assiduité, en récompensant par une prime le travail du lundi et des lendemains de quinzaine. Cette dernière application est, sans contredit, une des meilleures, parce qu'elle atteint directement une cause morale de désordre. Nous ne pouvons mieux faire que de rapporter textuellement les propositions de l'ingénieur des mines de Charleroi : « Le système des primes est peu répandu ;... suivant plusieurs industriels, l'introduction en serait plutôt préjudiciable qu'avantageuse. Je ne suis pas tout à fait de cet avis : un système de primes, bien entendu et bien appliqué, pourrait rendre des services à l'ouvrier, en même temps qu'à l'industriel. «L'ouvrier charbonnier est, de sa nature, très-nomade : sans motif aucun, il quitte une exploitation pour se rendre dans une autre. Le grand nombre reste à peine trois ou quatre mois au même établissement. Ces déplacements continuels constituent une perte réelle » de temps et de salaire pour l'ouvrier « D'un autre côlé, ces changements réitérés, quand ils ne sont pas la cause d'une interruption, jettent toujours de la perturbation dans l'organisation du travail. Il faut souvent plusieurs jours avant que celui qui en remplace un autre soit au courant de la besogne. De ce fait, on peut dire que la perte subie esl certainement plus grande pour l'industrie que pour la classe ouvrière. « Pour apporter un remède à cet état de choses, je voudrais voir instituer des primes basées sur la duréo du service, c'est-à-dire qu'après un nombre déterminé d'années de service au même établissement, le bon ouvrier recevrait soit un surcroit de salaire, soit une rémunération annuelle, par exemplo un livret de caisse d'épargne. Ces primes pourraient être augmentées après une certaine période. « Ce système serait lent, il est vrai, et ses effets ne seraient appréciés que dans un temps assez éloigné ; mais, bien compris, il aurait l'avantage de rendre les bons ouvriers moins nomades et de former, à chaque établissemenl, un noyau d'hommes plus attachés et plus dévoués à sa prospérité. On no ferait, du resle, en agissant de la sorte, que ce qui se pratique généralement à l'égard