Annales des Mines (1870, série 6, volume 9, partie administrative) [Image 100]

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ENQUÊTE OFFICIELLE SUR LA CONDITION DES OUYRIEK

divergences excessives, qui nous paraissaient tenir à des circonstances toutes particulières et concerner un trop petit nombre d'individus. Nous venons de signaler l'abaissement relatif des salaires dans la province de Namur, où l'industrie minière est moins active et la concurrence moins proche que dans les autres. Une différence plus faible apparaît, dans le même sens, et peut s'expliquer par les mêmes motifs, entre la province de Liège, qui compte 20.000 ouvriers, et celle du Hainaut, qui en renferme 70.000. Elle ressort nettement du tableau comparatif (n° III), que nous avons dressé pour les ouvriers de tout âge et de tout sexe. Ce rapprochement

DANS LES MINES ET USINES DE BELGIQUE.

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offrant par lui-même un moyen suffisant pour atteindre le but qu'on se propose : celui d'encourager l'ouvrier au travail, en lui donnant la possibilité de gagner davantage, et d'exciter ainsi chez lui une activité soutenue qui lui ouvrira le chemin de l'épargne. L'expérience démontre que l'appât d'un salaire élevé ne suffit pas pour augmenter le zèle do l'ouvrier; loin de là, il est bien établi que généralement c'est lorsqu'il gagne le plus qu'il travaille le moins. » Le pays de Liège est cependant celui où les primes ont été essayées volontiers et conservées dans un assez grand nombre d'exploitations. Dans le Hainaut, où l'expérience n'est tentée que dans des circonstances exceptionnelles, le langage des ingénieurs est encore plus décisif :

est, d'ailleurs, le seul qui donne lieu à des résultats concordants, Ainsi on voit qu'en Hainaut, l'élévation relative du salaire des hommes, dans la région du centre, est compensée par l'infériorité relative du salaire des femmes et des enfants. Il est difficile d'apercevoir la raison de ces écarts discordants. Le mode de rémunération à la tâche ou à l'entreprise est celui qui stimule le plus l'activité de l'ouvrier. Aussi est-il appliqué a tous les travaux qui peuvent y être soumis. Mais, outre que la production n'est pas toujours facile à évaluer d'une manière simple, il ne faut pas s'étonner que l'ouvrier résiste à l'extension progressive d'un système dont il réclame, en d'autres pays, la suppression complète. En général, les ouvriers à la veine, les coupeurs de voie et autres ouvriers à la pierre, les traîneurs et leurs associés sont payés « soit au mètre quarré, soit au mètre d'avancement, soit au nombre de chariots traînés. » Le relevé des chiffres portés au tableau d'enquête montre que, dans les houillères, la proportion des tâcherons varie de lio à 5o p. 100. L'ouvrier étant payé d'après la quantité de travail qu'il fournit, l'industriel n'a qu'un faible intérêt à stimuler son activité par l'appât d'une gratification. De là le peu de succès du système des primes, que le gouvernement belge recommandait à l'attention des ingénieurs et des exploitants :

« Le.ypèmo du travail avec prime,—dit l'ingénieur principal du couchant de Mons n'est pas appliqué au Borinage, si ce n'est temporairement et dans quelques cas particuliers. Les exploitants consultés répondent à peu près unanimement que les conditions trop variables du travail, dans des veines aussi dérangées que celles du couchant de Mons, n'en permettent pas l'application. Le travail à la tâche, qui en lient lieu suffisamment, présente déjà un certain caractère aléatoire, et les oscillations du montant de la journée, qui se produisent dans les quinzaines successives chez un même ouvrier à la veine, résultent souvent d'un changement dans la difficulté du travail, et non toujours d'une diminution d'activité chez l'ouvrier. Le travail dans les mines est, du reste, tellement enchaîné, les ouvriers dépendent à tel point les uns des autres, que je ne vois pas trop quel serait le résultat de l'application des primes dans certains services, tels que le traînage, sauf peut-être la terminaison plus rapide de la journée, ce à quoi l'ouvrier n'a guère besoin d'être stimulé. « L'ouvrier mineur est, du reste, tellement défiant, qu'il craint de voir réduire le prix du travail à la tâche, s'il montre qu'il peut produire davantage. L'absence de primes n'empêche pas que, dtns les mines comme ailleurs, le travail soutenu ne reçoive sa récompense. Dans les moments de ralentissement de l'exploitation, l'ouvrier laborieux, attaché au charbonnage, sera conservé plutôt que ses compagnons nomades. En tout temps, il lui sera fait des avantages qui, sans se traduire en augmentation de salaire, n'en seront pas moins réels. » Ces extraits de rapports sont le résumé des objections que la plupart des industriels adressent au système qui leur est recom-

« 11 ne faut pas se dissimuler, d'ailleurs,—dit l'ingénieuren chef de Liège,— que, dans certains cas, sa mise en pratique donnerait lieu à de sérieuses difficultés. Il est déjà arrivé qu'après l'avoir essayé, on a dû y renoncer. En tout état de choses, l'on ne peut espérer le voir se généraliser, parce que, parmi les travaux industriels, il en est qui ne réclament que de la force musculaire, et que, pour beaucoup d'autres, il serait impossible d'établir une base pour l'appréciation du service rendu ou du tort causé à l'industriel, selon l'intelligence, les soins ou la négligence que l'ouvrier peut mettre à les exécuter. « Ce mode de rémunération ne doit pas, du reste, être considéré comme

mandé, insistant tantôt sur un point, tantôt sur l'autre. En somme, ils le jugent inutile, attendu que le payement à la tâche est le meilleur des systèmes de primes, difficile dans l'application, à cause de la variété des conditions du travail, dangereux et décevant dans ses résultats pour l'ouvrier, qui proteste contre les inégalités et cherche à dissimuler les avantages. La défiance et surtout la jalousie sont telles qu'en divers lieux, tous les ouvriers se partageaient la prime.