Annales des Mines (1903, série 10, volume 3) [Image 92]

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NOTICE

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permoncarbonifères, et que les Schistes lustrés devaient être tenus pour triasiques ou liasiques. Longtemps avant M. Marcel Bertrand, avant M. Franchi, et avant moi, il a su l'existence des trois séries cristallophylliennes . Il a manqué à Lâchât, pour que son nom fût connu dans le monde entier, non pas de savoir écrire, — ses lettres sont des modèles de précision et d'élégance, — mais d'aimer à écrire. Il craignait la lutte. Il redoutait aussi de livrer à la publicité des observations incomplètes; et il regardait toujours comme incomplètes toutes ses observations. Il eût voulu se familiariser avec la méthode micrographique, et il pensait avec raison que, sans micrographie, il n'y a pas de lithologie précise. Mais le temps lui a fait défaut, pendant de longues années; et, quand les loisirs sont revenus, avec la retraite, il a craint de n'avoir plus l'esprit suffisamment souple, et de n'arriver jamais qu'à être un micrographe médiocre. H lui eût fallu un milieu plus scient ifîque, et d'une plus grande activité intellectuelle. Je n'ai jamais douté que Lâchât, s'il eût habité Lyon, par exemple, ou même Grenoble, au lieu de Chambéry, ne fût sorti de son obscur rité. Mais, tout au fond, l'obscurité lui plaisait. C'était un timide et un rêveur. Il avait plus de joie à lire un livre qu'à l'écrire. Le triomphe de ses idées lui étail plus cher qu'un triomphe personnel, puisque le triomphe personnel eût été acheté au prix de sa tranquillité et de ses calmes loisirs. Ses dernières années ont été vraiment heureuses; car il partageait ses jours entre dos recherches cristallographiques, qui lui étaient infiniment chères, et la lecture des mémoires géologiques, où, peu à peu, il voyait la structure des Alpes se dégager des incertitudes, et la chaîne tout entière se dresser au-dessus des brumes, plus belle qu'il ne l'avait rêvée. Il n'a à peu près rien publié, et, en tout cas, rien <' e

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géologique, en dehors des quelques notes dont j'ai parlé et qui sont insérées au Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de Savoie. Il a mesuré au goniomètre des centaines de cristaux, et il n'a jamais envoyé la moindre communication, à leur sujet, aux diverses Sociétés minéralogiques dont il était membre. Je lui dois personnellement d'utiles indications sur les minéraux des Alpes, minéraux qu'il connaissait admirablement. Quand je le vis pour la dernière fois, au mois de juillet de l'année 1900, il était déjà gravement malade et ne recevait plus que ses amis. Je le trouvai au lit, les traits fort altérés par la souffrance ; et il me dit qu'il attendait la mort d'un jour à l'autre. Elle devait lui laisser encore six mois de répit. Nous parlâmes quelque temps de ses douleurs, qui étaient très vives. « Mais laissons ce sujet », dil-il bientôt, «. et revenons à nos chers minéraux ». Il fallut l'entretenir des rapports cristallographiques de deux silicates dont il s'était maintes fois occupé, Tépidote et la zoïsite. Et nous causâmes après cela de la tectonique du Briançonnais, au sujet de laquelle nous avions échangé toute une correspondance. 11 croyait être à la veille de sa mort; et il restait, malgré ce terrible voisinage, le naturaliste curieux, sagace, clairvoyant et enthousiaste, •l 1 ' il avait toujours été. Je voudrais que ces quelques pages préservassent de ' éternel oubli le nom de cet ingénieur modeste, qui était, sans peut-être s'en douter, un vrai savant. Je voudrais que, grâce à elles, les géologues qui feront, dans peu ( 1 années, la synthèse de la chaîne alpine, inscrivissent le nom de Lâchât parmi les noms des bons ouvriers de la Première heure, et tout à côté des noms de Sismonda, de Gastaldi et de Charles Lory, ses anciens collègues et 8°n ancien adversaire. Pour moi, je ne puis jamais me pencher sur une carte