Annales des Mines (1881, série 7, volume 19) [Image 121]

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ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT, INGÉNIEUR EN CHEF DES MINES,

Par M. 7.-B. DUMAS, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, lu dans la séance publique annuelle du 14 mars 1881.

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traînant des membres impuissants que la volonté ne dirigeait plus. Entré dans la vie par un chemin difficile et rude, il avait rapidement conquis tous les honneurs, amassé tous les biens, connu toutes les joies; victime d'une fatalité implacable, il descendait, avec la même hâte fiévreuse, toutes les étapes de la voie douloureuse. On dirait que deux divinités rivales se rencontrant près de son ber-

ceau, tandis que l'une lui promettait tous les succès, l'autre le condamnait à tous les revers.

Messieurs, ce n'est pas sans émotion que je viens devant l'Académie, à la fin de ma carrière, consacrer quelques pages à la mémoire d'un confrère que j'ai profondément admiré et beaucoup aimé : Victor Regnault. Dès ses débuts, les circonstances nous avaient rapprochés, et les événements ont semblé se plaire à nous mettre en contact plus intime encore aux heures décisives de son existence; parfois si heureuse et souvent si tourmentée. Parmi les savants dont les travaux ont pris une place éminente et durable dans nos annales, il n'en est aucun

dont la vie ait offert les contrastes qu'on

rencontre

dans celle de Regnault. Quand la fortune semblait lui sourire et l'accabler de ses dons, au fond toujours irritée et menaçante, elle se réservait de le traiter en marâtre et de le dépouiller de toutes ses faveurs par le plus sauvage des retours. Il y a vingt ans, entouré d'une famille nombreuse, au milieu de laquelle brillait, dans tout l'éclat de sa renommée naissante, le jeune artiste dont la France en pleurs a consacré la mémoire. héroïque, Regnault avait vu,

coup sur coup, disparaître tous les siens; doué de la raison la plus ferme, il avait senti son intelligence s'obscurcir ; habile à tous les exercices du corps, infatigable même,

venait naguère vers nous, affaissé sous le poids d'une vieillesse prématurée, soutenu par un bras charitable, et il

André-Privat Regnault, son père, originaire de Paris, capitaine au corps des ingénieurs géographes militaires, s'était marié, en 1807, à l'âge de vingt-huit ans, à Aix-la Chapelle, avec une jeune femme de famille italienne, Marie-Thérèse

Massardo. Cette union, qui devait être

si

courte, leur avait donné deux enfants : une fille et un fils. Notre futur confrère, Victor Regnault, né en 181o, avait deux ans à peine, lorsque, pendant la campagne de Russie, en 1812, l'infortuné capitaine, mortellement blessé, était abandonné sur la route de "%Vilna. Frappés par ce pre-

mier deuil de tragique présage, ses enfants devaient bientôt en connaître un second ; Mme Regnault mourait à son

tour, épuisée de douleur, laissant deux orphelins, sans famille, sans ressources, mais non sans appui. En effet, ils n'étaient pas abandonnés de la Provi-

dence. Parmi les camarades d'armes du capitaine Regnault, un officier du même âge et du même grade, Jean-Baptiste Clément, fidèle aux nobles traditions de la fraternité du champ de bataille, n'avait cessé de témoigner à la veuve de son ami la plus constante sollicitude, et,

lorsque la fille d'un membre de l'Académie française, Alexandre Duval, devint sa compagne, les enfants Regnault trouvèrent en M'a' Clément une seconde mère.

La prudence commandait de leur donner un état ; ils furent placés, rue Richelieu, dans un maison de nouveautés, où le jeune Victor fut bientôt distingué : sa vive