Annales des Mines (1878, série 7, volume 13) [Image 134]

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DE GABRIEL LAMÉ.

obscur, lors de la marche descendante, est alors éclairé d'une vive lumière et les doutes disparaissent par l'infaillibilité du raisonnement. » Pour plus d'une science malheureusement, pour celle

surtout que Lamé avait en vue en écrivant ces lignes, le drapeau arboré avec tant de confiance restera bien longtemps celui de l'avenir. Elles sont extraites, en effet, d'une brochure publiée en 1848 : Esquisse d'un traité de la République.

Nommé en 185o professeur à la Faculté des sciences de Paris, il eut dès lors, dût-il y épuiser ses forces, à partager son zèle entre deux préoccupations : discuter, avec les ressources de la science la plus haute, les principes des théories physiques, et préparer un auditoire capable de les juger et digne de suivre ses traces. Soumis à toutes les exigences de la règle, Lamé, pour obéir aux programmes réglementaires, dut enseigner d'abord la théorie des chances et le calcul des probabilités. Son esprit, généralisateur et subtil, était particulièrement propre à recueillir et à provoquer une riche moisson sur ce terrain si périlleux et si vaste. Une courte note, insérée dans le Journal des mathémathiques par un de ses auditeurs les plus zélés, reste la trace unique, mais durable, de ce trop rapide enseignement. La généralisation d'un théorème classique, obtenue par Lamé avec son élégance et son habileté analytique accoutumée; est réduite à l'évidence la plus intuitive par Émile Barbier, qui, enlevé trop tôt à la science et à ses amis, a su, par ce travail très-modeste et très-court, donner aux meilleurs juges les plus hautes espérances et accroître les vifs regrets de ses maîtres.

La chaire de Lamé, bientôt transformée et consacrée

tout entière à la physique mathématique, fut l'occasion et l'épreuve de tous ses travaux ultérieurs. Il voulait, avant tout, rapprocher et unir les principes. Quand les théories

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isolées et indépendantes demandent le progrès à des hypothèses diverses, les plus brillants succès ne sauraient .éblouir jusqu'à justifier les contradictions. Vous n'ignorez pas, disait un examinateur interrogeant

un candidat sur la théorie de la chaleur, qu'il existe un fluide nommé éther? Certainement, répondit l'élève, mais c'est dans la théorie de la lumière. » Cette naïve réponse trahit aujourd'hui encore l'état de la science sur plus d'un point. Des indices, trop certains pour laisser place au doute, révèlent l'existence de l'air. On le voit agiter les feuilles d'un arbre; on l'entend siffler clans ses branches ; on comprend qu'il résiste aux ailes d'un oiseau et, en affirmant que l'air existe, nul n'est tenté d'ajouter en physique seulement. Aucune main n'a touché l'éther, aucun oeil ne l'a vu, aucune balance ne l'a pesé. On le démontre, on ne le montre pas ; il est pourtant aussi réel que l'air, son existence est aussi certaine : si j'osais dire qu'elle l'est davantage, on m'accuserait d'exagération. Lamé cependant m'y aurait encouragé. Quoi qu'il en soit, toutes les écoles sur ce point sont d'accord. Fresnel a poussé la démonstration jusqu'à la complète évidence ; il a fait plus que convaincre ses adversaires, il les a réduits au silence. L'univers est rempli par l'éther; il est plus étendu, plus universel et peut-être plus actif que la matière pondérable; il livre passage aux corps célestes, sans leur résister ni les troubler, et vibre librement dans la profondeur des corps diaphanes. Comment croire que ce fluide, dont l'intervention accorde et concilie jusqu'aux moindres détails les faits relatifs à la lumière, n'intervient pas dans les phénomènes calorifiques ; 'que, mêlé aux molécules matérielles, il n'influe pas sur l'élasticité et que, présent aux actions électriques, il n'y joue cependant aucun rôle ? Il est, disait Lamé, le véritable roi de la nature physique; mais, en faisant de son avènement la grande préoccupation de sa vie, Lamé reconnaissait qu'on le retarderait indéfiniment peut-être,