Annales des Mines (1878, série 7, volume 13) [Image 124]

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DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

tage de Savart et d'Ampère, tout le monde applaudit à ce choix excellent. Quoique bien jeune encore, Regnault, déjà membre de l'Institut, avait des titres assez considérables pour qu'on ne le jugeât pas indigne de succéder à ces glorieux devanciers.

Peu de débuts ont été aussi brillants que le sien. Ce jeune homme, qui avait l'air et la vivacité d'un adolescent, était un professeur accompli. On n'a pas oublié son cours d'optique : c'était la première exposition méthodique des belles recherches de Fresnel et d'Arago. De cet audi-

toire, où les élèves étaient plus âgés que le maître, est sortie toute une génération de savants, parmi lesquels, pour ne parler que des morts, on me permettra de citer un homme trop tôt enlevé à la science, M. Foucault. Un peu plus tard, M. Regnault aborda l'étude de la chaleur. Il soumit à un contrôle sévère une théorie généralement acceptée, mais qui ne répondait plus à la variété, des faits observés. Pendant de longues années, ces recherches, poursuivies avec une patience et un soin sans pareil, ont donné au laboratoire de physique du Collége de France un renom universel. On venait de l'étranger pour suivre ces

travaux qui intéressaient l'industrie non moins que la science. On ne se lassait pas d'admirer l'observateur habile et ingénieux qui apportait à ces expériences difficiles un degré de finesse et de précision que la nature des phénomènes ne paraissait pas comporter. Parvenu à la maturité de l'âge et du talent, M. Regnault pouvait regarder l'avenir sans crainte, quand il fut frappé d'une façon terrible. Le 19 janvier 1871, son fils, le digne héritier de son nom, la gloire de sa vieillesse, tombait héroïquement à Buzenval; et, pour comble de malheur, notre

cher collègue n'avait pas même le refuge de l'étude, la dernière consolation de ceux qui souffrent, parce qu'elle leur permet au moins d'oublier : ses papiers, ses appareils, restés à Sèvres, avaient été détruits ou dispersés par l'en-

DE M. REGNAULT.

nemi. M. Regnault ne devait plus retrouver les

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où, durant plusieurs années, il avait consigné manuscrits une longue

série d'expériences si délicates, qu'il est permis de craindre qu'on ne les reprenne pas de longtemps.

En 1875, de nouveaux deuils lui portèrent le dernier coup. L'âme et le corps brisés, Victor Regnault ne fit plus

que languir. Quelquefois sa pensée se ranimait et réveillait en lui le souvenir de ses études favorites. Il avait fait transporter à

la campagne les débris de son laboratoire de Sèvres; il voulait consacrer le peu qui lui restait de vie à reconstituer une sorte de musée historique de ses expériences, afin de transmettre à des successeurs plus heureux le flambeau qui lui tombait des mains. C'était le rêve d'un malade dont les instants étaient comptés. Il nous a été enlevé au jour anniversaire de la mort de son fils, le 19 janvier, date fatale à inscrire sur le tombeau de deux hommes qui tous deux ont honoré la France et que la France n'oubliera pas. Pour nous, qui

avons connu et aimé Victor Regnault, nous garderons pieusement son souvenir ; nous mettrons son nom à côté de celui des Ampère, des Savart, des Biot, des Balard, des Élie de Beaumont, de tous ces savants qui ont fait la gloire du Collège de France, non-seulement par l'éclat de leurs découvertes, mais aussi par l'exemple d'une vie dévouée tout entière à la poursuite de la vérité.