Annales des Mines (1911, série 10, volume 19) [Image 35]

Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.

62

VICTOR REGNAULT

élévation du rendement à 300 mètres cubes par tonne, emploi des fours à récupération, précipitation des dernières vésicules du goudron par les appareils à choc T traitement des goudrons par distillation fractionnée, application du coke au chauffage domestique dans des appareils à combustion rationnelle, détermination exacte du pouvoir éclairant du gaz. Tous ces progrès, partis de Paris, sont répandus aujourd'hui dans le monde entier. Malheureusement, après 1870, une mauvaise rédaction d'un article relatif à l'abaissement éventuel du prix du gaz, et une interprétation plus contestable encore de cet article vinrent paralyser tout nouveau progrès. Mais Regnault n'était plus là pour assister à la diminution de son œuvre. Après une carrière aussi brillante, enviée de tous ses contemporains, l'oubli est venu rapidement pour Regnault. La plupart des chimistes ont gardé seulement le souvenir d'un professeur mortellement ennuyeux, et bien des physiciens ne se gênent pas pour en parler comme d'un travailleur consciencieux, mais d'une intelligence moyenne' et connaissant médiocrement son métier. Dumas, dans l'éloge académique de Regnault, deux ans seulement après sa mort, esquissait déjà quelques réserves, absolument contestables d'ailleurs, sur ses aptitudes comme chimiste. De Lapparent, lors du centenaire de l'Ecole Polytechnique, dans une notice d'intentions certainement bienveillantes, analysait avec beaucoup de finesse les raisons de cette défaveur. A certains pointsde vue, Regnault se ^approche beaucoup, par sa tournure d'esprit scientifique, de Lavoisier; il professait le même culte de l'expérimentation et la même terreur des vaines imaginations. Pourquoi donc la gloire du premier va-t-elle toujours en croissant et celle du second: décline-t-elle tous les jours plus vite? Les quelques lignes suivantes de Berthelot, empruntées à son étude sur Lavoisier, nous en donnent l'explication immédiate.

VICTOR REGNAULT

63

« Lavoisier obtint en 1760 le grand prix de discours français en rhétorique au concours général, c'est-à-dire qu'il entra dans la vie avec la culture classique, qui ne fait certainement pas les grands hommes, mais qui leur assure cette forte éducation de l'esprit, nécessaire à la poursuite méthodique de leurs travaux comme à la propagation de leurs idées. » Regnault n'eut pas le même avantage ; pendant qu'il portait à domicile les chapeaux grands ou petits des belles clientes de son patron, il perdit pour sa formation intellectuelle les années de jeunesse, qui ne se retrouvent plus ensuite. Il ignora toujours les préoccupations philosophiques qui poussent l'esprit à remonter du fait particulier aux notions générales et abstraites; il ignora le sentiment artistique qui porte à mettre en évidence les caractères dominateurs de son œuvre et à ordonner ses idées pour la plus grande joie du lecteur. Ses mémoires scientifiques sont pénibles à lire ; on n'en fera pas de nouvelles éditions, comme on en a fait ou on en fera de ceux de Buffon, de Lavoisier, de Cuvier, d'Elie de Beaumont, de Pasteur, de Berthelot, de Fabre, etc. Il y a là un enseignement profond ; si la guerre impie faite à la culture intellectuelle ne se calme pas, le siècle commençant pourra contribuer au développement de la richesse et même de la science, mais il ne comptera pas plus dans le développement de la pensée humaine que les siècles de barbarie.

ANNEXE I. NOMINATION D'INGÉNIEUR RETARDÉE.

L'administration refusa de nommer Regnault, à la suite de ses examens de sortie de l'École des Mines, au grade