Annales des Mines (1911, série 10, volume 19) [Image 33]

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l'esprit. On est étonné, en relisant aujourd'hui ces petits volumes, de toutes les notions exactes et absolument précises qui y sont accumulées. Dans l'édition de 1847, on trouve, à propos du haut fourneau, un exposé de la théorie des équilibres entre l'oxyde de carbone et l'oxyde de fer, tout à fait au niveau de l'état actuel de nos connaissances. Henri Sainte-Claire Deville, après tous ses travaux sur la dissociation et sur la réduction de l'oxyde de fer n'était pas arrivé à une vision aussi nette. C'est encore dans le Cours de chimie de Regnault que l'on trouve pour la première fois l'énoncé complet des fameuses lois, dites de Berthollet ; il en est le véritable auteur, et il les formulait d'ailleurs plus exactement que ne l'ont fait ses successeurs. Le caractère essentiellement scientifique de son enseignement provient de ce. qu'il se préoccupe avant tout de rattacher chaque fait particulier à ses causes et à ses conséquences immédiates ; or, la science n'a d'autre objet que la relation des faits entre eux. On peut cependant regretter sa terreur trop grande des généralisations plus lointaines ; il voyait seulement le premier chaînon de suites en réalité illimitées. Enfin, au point de vue matériel, son Cours de chimie a été le point de départ d'une véritable révolution ; pour la première fois, on voyait, intercalés dans le texte, des dessins d'appareils, très clairs, rejetés auparavant à la fin des volumes dans des planches difficiles à consulter. Malgré un succès aussi justifié, le Cours de chimie de Regnault est à peu près complètement inconnu aujourd'hui des jeunes chimistes ; on ne peut même plus retrouver ses Premiers Éléments dans les grandes bibliothèques scientifiques, comme celles de l'Institut, de la Sorbonne, de l'École des Mines. Pour achever l'historique de l'œuvre chimique de Regnault, il me reste à parler de faits restés jusqu'ici à

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peu près inconnus. Regnault a présidé à la création de la Compagnie parisienne du Gaz et en a été pendant vingt années l'inspirateur scientifique dans une collaboration technique de tous les instants avec les directeurs successifs de cette Compagnie, ses amis : M. de Gayffier(*) d'abord, puis le neveu de ce dernier, M. Camus. On ignore presque toujours la somme de travail et de science dépensée dans les industries prospères. Les artisans de ■cette prospérité y trouvent des avantages matériels importants, et ce fut le cas pour Regnault, mais nullement la gloire à laquelle ils auraient droit. En 1852, le gaz était fabriqué à Paris par une demi -douzaine de compagnies indépendantes, et des pourparlers étaient alors engagés pour la prolongation de leurs concessions. L'empereur, désirant tenir ses promesses plébiscitaires et donner le gaz à bon marché aux Parisiens, ■chargea Regnault de faire des expériences pour déterminer le prix de revient réel du gaz. Une usine expérimentale fut construite à Saint-Cloud, à proximité de la manufacture de Sèvres. Toujours préoccupé de l'exactitude des chiffres et ne pouvant cependant, au milieu de ses multiples occupations, passer toute sa journée à l'usine, Regnault fit mettre à sa disposition des voltigeurs de la garde pour surveiller les expériences. Le matin, il venait faire nettoyeret balayer l'usine, puis introduire et peser le charbon destiné aux essais de la journée ; il mettait alors à chaque porte une sentinelle, baïonnette au canon, avec consigne de ne rien laisser entrer ni sortir. Il revenait le soir mesurer le gaz produit et peser les sous-produits. Il trouva ainsi pour les dépenses de matières un chiffre cinq fois plus faible que celui des Compagnies. Son rapport fut violemment attaqué par les intéressés ; on invoqua le témoignage de tous les gaziers (*) Annexe n* VII, 'Nomination de M. de Gayffier.