Annales des Mines (1911, série 10, volume 19) [Image 31]

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sur cet oxyde et il fait le premier des analyses organiques, régulièrement exactes. Ses mesures définitives donnent tort à Liebig et confirment l'exactitude des analyses de Dumas. Ils sont donc deux contre un, la majorité doit avoir raison ; mais Regnault ne se contente pas de confondre ses adversaires, il veut aussi les convaincre ; il multiplie ses expériences de façon à retrouver les résultats de Liebig, et parvient ainsi à établir le rôle de la purification incomplète des produits étudiés par le savant chimiste allemand. Regnault cependant n'est pas encore satisfait, il ne connaît pas la nature de l'impureté contenue dans le corps analysé. Une observation soigneusement notée le met sur la voie.. 11 avait observé, au cours de la préparation de son composé, une violente effervescence, tout à fait* inexplicable, et il finit par en découvrir l'origine : le chlorure d'éthylène donne naissance, par perte d'acide chlorhydrique, à un corps gazeux, encore inconnu, l'éthylène chloré. Puis, continuant de proche en proche ses observations, il découvre de nombreux composés formant deux séries parallèles résultant de la substitution progressive du chlore à l'hydrogène. C'est le plus bel exemple donné de la loi des substitutions récemment découverte par Dumas, et de celle de conservation des types, à peine entrevue alors. Ce mémoire est un des plus importants de la chimie organique. Pendant cinq années consécutives, ses publications se suivent sans interruption, toujours aussi importantes par la nouveauté et la précision des résultats obtenus. Cette activité féconde explique la réputation si rapide du jeune ingénieur des Mines et sa nomination, le 6 juillet 1840, à l'Académie des Sciences. Il entrait dans la section de< chimie pour remplacer Robiquet. Il n'avait pas encore fait de recherches de physique proprement dites, car ses déterminations des chaleurs spécifiques des corps simples

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se rattachaient à des préoccupations à l'ordre du jour parmi les chimistes de l'époque. Il les avait du reste entreprises sous l'impulsion de Dumas (*). La somme de travailfournie à cette époque par Regnault est inouïe. Parallèlement à ses recherches et en plus delà surveillance des élèves au laboratoire de l'Ecole des Mines, il professait la physique générale à l'Ecole Centrale (**)., la chimie générale à l'Ecole Polytechnique comme suppléant de Gay-Lussac et la chimie analytique à l'Ecole des Mines comme suppléant de Berthier. Si Regnault avait persévéré dans ses travaux de chimie, il aurait rendu à cette science des services plus importants encore qu'il n'a fait à la physique. Peut-être l'aurait-il guérie de la maladie de l'imprécision et de l'amour des belles théories philosophiques, héritage de nos ancêtres, les alchimistes et des Gaulois beaux parleurs. Avant lui, on avait déjà en physique le respect des mesures exactes. Un de ses prédécesseurs au Collège de France, Biot, calculait les résultats de ses expériences, avec treize décimales, en oubliant, il est vrai, de se demander s'il connaissait exactement plus des deux premières ; l'intention du moins y était. Un peu plus tard, de Sénarmont discutait d'une façon magistrale, dans son enseignement de l'Ecole Polytechnique, l'influence des erreurs de mesures sur la précision des résultats cherchés. Regnault a seulement indiqué les moyens à employer pour atteindre une précision désirée par tous les physiciens ; il a prêché d'exemple en appliquant ses méthodes et montrant leur fécondité. En chimie, au contraire, tout était alors et est aujourd'hui encore à faire dans cette voie. On se contente trop facilement d'à peu près; la préoccupation de Regnault d'analyser seulement des corps purs est bien souvent négligée, et la confusion croît de (*) Annexe n" III, Résumé des travaux de chimie de Regnault. (**) Annexe n° IV, Autorisation de professer à l'Ecole Centrale.