Annales des Mines (1911, série 10, volume 19) [Image 30]

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VICTOR REGNAULT

VICTOR REGNAULT

au laboratoire de son École. Au printemps de 1836, ou lui accorde, toujours avec son titre d'élève-ingénieur, un congé de trois mois pour aller à Lyon suppléer Boussingault, professeur à la Faculté des Sciences, et à son retour à Paris, le 29 juin 1836, il est enfin nommé ingénieur. On propose bientôt de lui donner un logement à l'École des Mines. Pour vaincre les résistances de l'Administration, le directeur de l'École invoque des arguments assez singuliers (*) ; le désir d'empêcher Regnault d'aller travailler au laboratoire de l'École Polytechnique et la nécessité de le détourner de la chimie organique, science devenue très à la mode depuis quelques années. Les vacances forcées imposées à Regnault, après sa sortie de l'Ecole des Mines, ne furent pas perdues pour la science ; il les consacra à ses premières recherches personnelles de chimie et publia, dès la fin de 1834, dans les Annales de Physique et de Chimie, son mémoire classique sur la liqueur des Hollandais. Cette précocité d'un jeune étudiant, faisant paraître, avec le titre d'élève mentionné sous son nom, des travaux dignes d'un maître, peut surprendre; les dispositions naturelles les plus brillantes paraissent insuffisantes pour en donner l'explication. Mais l'enseignement donné à cette époque au laboratoire de Chimie de l'Ecole des Mines était très particulier. Berthier faisait des bons élèves ses collaborateurs immédiats et leur enseignait la chimie en travaillant avec eux.I! leur confiait tantôt des recherches nécessaires pour la rédaction de son Traité des essais de la voie sèche en cours d'impression, tantôt des analyses demandées au bureau d'essais de l'Ecole pour le compte de l'Administration ou du public. Il n'y avait alors aucun chimiste attaché au laboratoire d'analysés, le professeur de docimasie en assumait seul la responsabilité, et jamais Berthier n'au-

rait pu faire les centaines d'analyses publiées sous sa direction : c'était là une formation excellente. Ces renseignements sont nécessaires pour comprendre l'assurance, la confiance en lui-même avec lesquelles le jeune Regnault entreprend dans son premier mémoire de départager d'éminents savants comme Liebig et Dumas. Il possède déjà une méthode de travail très arrêtée, et il ne s'en départira plus dans tout le cours de son existence. Liebig et Dumas avaient chacun de leur côté analysé la liqueur des Hollandais et lui avaient trouvé une composition un peu différente. Ce léger désaccord eût laissé bien des chimistes indifférents ; on pouvait vivre heureux sans connaître la formule précise de ce curieux composé. Cette divergence, au contraire, impressionne désagréablement Regnault ; il n'y a qu'une vérité, il n'y a qu'une formule exacte, il veut la connaître. De même il consacrera plus tard tous ses efforts à passer au crible les travaux de Bulong sur les tensions de la vapeur d'eau ou sur les chaleurs spécifiques des corps, ceux de Gay-Lussac sur la dilatation des gaz, etc. L'imprécision dans la science lui répugne, comme à d'autres une tache sur un beau vêtement. Ce n'est pas tout cependant d'aimer la précision, il faut encore savoir mettre en œuvre les moyens nécessaires pour y atteindre. L'élève de Berthier connaît à fond son métier ; sa première préoccupation est d'opérer sur un corps bien pur, en contrôlant par tous les moyens possibles l'invariabilité des propriétés du composé obtenu. Mais cela ne suffit pas, il faut encore des méthodes de mesures rigoureuses, et Regnault soumet à une critique sévère le nouveau procédé de Dumas pour l'analyse des matières organiques par combustion avec l'oxyde de cuivre; il étudie tout particulièrement les causes d'erreur résultant de la condensation trop facile de la vapeur d'eau

(*) Annexe n° II, Logement à l'Ecole des Mines.