Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 166]

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de concessions, les investisons et l'inégal avancement des travaux de raines. En fait il y eut, à la demande de Marcel Bertrand, quelques essais de construction des courbes d'égale- teneur dans les bassins du nord de la France, du Gard et de la Haute-Silésie; mais ces essais, _ qui n'ont pas infirmé la loi, n'ont pas non plus suffi à la fonder définitivement, et bientôt, l'initiative du Maître venant à manquer, tout sombra dans l'indifférence et le scepticisme des ingénieurs. Je nedoute pas que la question ne soit reprise un jour, et que, là encore, Marcel Bertrand n'ait été un précurseur très perspicace. Sur toute l'œuvre écrite de ce grand géologue, il y aie charme, je . dirais volontiers la magie, d'un noble style, à la fois élégant et clair, imagé et sobre, et qui me paraît être le modèle accompli du langage scientifique. Ce style est rarement éclatant, beaucoup plus rarement, par exemple, que celui d'Eduard Suess; et ce n'est que dans ses conférences, dans les Eloges qu'il rédige pour perpétuer la mémoire d'Hébert et de Charles Lory, ou encore dans sa Préface pour l'édition française de VAntUtz der Erde, que Marcel Bertrand cesse parfois de parler simplement et laisse, pendant quelques instants, chanter le poète qui est en lui. Il trouve alors de très beaux accents, et, pour servir son éloquence, les images, accourent en foule ; mais bientôt, comme honteux de l'essor qu'il vient de prendre, il congédie d'un geste les sonorités et les images, redescend au niveau de la simple conversation, et se remet à causer, tout uniment, avec le lecteur ou l'auditeur. C'est qu'il y a dans son esprit, fortement enracinée par l'influence paternelle, une sévère discipline classique, analogue à celle qui dominait les grands hommes du xvn e siècle ; et cette discipline est aggravée par le sens critique toujours en éveil, par la tendance invincible à l'épigramme, par la perception incnryablement aiguë des dissonances et la vision immédiate,

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et généralement grossie, des ridicules. Il se surveille étroitement, toujours prêt à plaisanter sa propre émotion, à refroidir son enthousiasme, à refréner son imagination, à s'interdire toute fantaisie de parole ou de plume. Je l'ai déjà dit : on ne peut bien comprendre Marcel Bertrand si l'on ne se rappelle qu'il y a en lui deux hommes, un prophète et un critique. Le premier est, en outre, un vrai poète, un orateur plein de feu, un merveilleux artiste; le second, très avisé et très méfiant, difficile à émouvoir, un peu sceptique même, a la raillerie facile et l'épigramme toujours prête. Dans toute l'œuvre, on voit leur double empreinte ; et le style résulte clairement de leur collaboration presque égale et de leur antagonisme exactement équilibré.

C'est une de nos tristesses, à nous autres qui avons connu, entendu, admiré et aimé Marcel Bertrand, que de voir combien il paraît lointain aux jeunes savants de France, aux membres de la Société géologique de France qui n'ont pas encore trente-cinq ans et qui se le rappellent seulement sous les traits d'un « ancêtre plein de funérailles ». Plusieurs l'ont aperçu quelquefois, entre 1900 et 1904, aux séances de cette Société, mais taciturne déjà, et déjà presque indifférent à la vie delà Science. Us connaissent l'œuvre et en savent l'extraordinaire portée; ils ne pourront jamais se figurer ce qu'était l'homme, à quel point il vivait, quel foyer rayonnant il portait en lui, quel fonds inépuisable de gaieté et de cordialité se manifestait dans toute sa personne, non seulement à ses amis, mais à quiconque s'adressait à lui ; ils ne sauront jamais l'accueil charmant qu'il réservait aux plus humbles dis-