Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 162]

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point, les étoiles se hâtent éperdument : toute celte vision, un peu nuageuse, un peu sibylline, où il y a de la fumée et des éclairs, des tonnerres et de grands silences, des pluies diluviennes et des fêtes de soleil, des jours et des nuits aux longueurs démesurées, et qui rappelle une Légende des Siècles à laquelle l'Homme manquerait, toute cette vision, dis-je, est restée' dans ' son esprit, a dominé son travail, a hanté ses rêves. Et personne, mieux que lui, n'a compris Eduard Suess. Il le comprenait et le complétait. Il était comme un autre Suess, resté en contact avec le terrain, demeuré le familier de la montagne, et apportant à son ami de Vienne, dans leur collaboration splendide à l'Histoire de la Terre, le trésor de ses observations personnelles, et cette implacable précision dans l'énoncé et dans la discussion des problèmes et des résultats qui est une qualité toute française. Suess a beaucoup aimé Marcel Bertrand, sachant bien qu'il lui devait d'avoir été mieux connu, plus apprécié et plus admiré à Paris qu'à Vienne, et donc qu'il avait reçu par lui la bonne moitié de sa gloire ; mais, pour savoir à quel point cette amitié a été réciproque, et combien Marcel Bertrand a aimé Eduard Suess, il faut relire la magnifique préface qu'il a écrite en 1897 pour le premier volume de l'édition française de la Face de la Terre. Dans cette préface, qui est un hymne à la gloire de Suess, et dont la forme est tout à la fois éclatante et précise, l'adrniration, la reconnaissance et une sorte de dilection quasi filiale se fondent harmonieusement : et jamais l'on ne parlera mieux, avec plus de science et plus d'art, avec plus de concision et plus d'enthousiasme, avec une logique plus serrée et une poésie plus entraînante, du renouvellement de la Géologie par l'apparition de YAntlitz der Erde. « Les personnalités de cette étonnante espèce sont des mamelles pour un grand nombre. » Cette formule,

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qui s'applique si bien à Eduard Suess, est tout aussi vraie de Marcel Bertrand. Dans les pays de langue française, je ne connais pas à l'heure présente un seul géologue qui n'ait été plus ou moins nourri de la substance de MarcelBertrand, qui, consciemment ou inconsciemment, ne soit son disciple. L'école française lui doit son éclat actuel et ses récents succès ; et tous ceux, dans le monde entier, qui sentent en ce moment le rayonnement de cette école et qui cherchent à appliquer ses méthodes d'observer et de raisonner, tous ceux-là, pour la plupart sans le savoir, marchent sur les traces de ce Maître et travaillent à la lueur des flambeaux qu'il a allumés.. Quelques-uns le savent et le disent; et c'est ainsi que, en janvier 1907, peu de jours avant la mort de Marcel Bertrand, dans une conférence sur la structure des Alpes suisses (*•), M. Albert Heim, le célèbre professeur de l'Université de Zurich, traçant une rapide histoire du développement de la théorie des grandes nappes, rappelait que, dès 1884, Marcel Bertrand a expliqué les Alpes de Glaris à peu près exactement comme on les explique aujourd'hui. Le conférencier ajoutait ces paroles, où il y a, tout à la fois, beaucoup de modestie et beaucoup d'émotion : « Wir schùttel« ten unglàubig den Kopf, und eine Reihe von Jahren « blieben dièse Hinweisungen von Bertrand vergessen. « Heute erfùllt uns Bewunderung vor de m Seherblick « unseres Freundes, der, leider jetzt in schwerer geistiger « Umnachtung dahintraumend, die Freude nicht mehr mit « uns empfinden kann. » Mais il faudrait, pour montrer complètement la part de Marcel Bertrand dans le progrès des théories alpines, ajouter bien des choses. Il faudrait dire que les phénomènes de recouvrement signalés par lui dans la Provence sont devenus classiques en France dès 1890; que tous ceux d'entre nous qui ont, de 1890 à (*) Alt).

HEIM,

Der Bau der Schweizeralpen (Neujahrsblatt der natur-

forsck. Gesellsch. in Zurich auf das Jahr 1908).