Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 153]

Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.

302

MARCEL BERTRAND

eussent été, lentement, proférés à nos oreilles par « la voix qui sort des choses ». Faut-il donc croire que Marcel Bertrand ait eu le pressentiment de la particulière brièveté de ses jours ? Certes, ce pressentiment pouvait très bien s'accorder avec sa gaieté et son entrain habituels. Qu'elle lui fût familière ou non, la pensée de la mort n'était pas capable de l'épouvanter, ni même Ûk l'assombrir; et j'ai souvent été frappé, bien avant sa maladie, du peu de confiance qu'il manifestait dans la durée de la vie humaine. En octobre 1896, un nouveau triomphe l'attend ; et c'est en Algérie, à la Réunion extraordinaire de la Société géologique. Il vient de signaler à ses confrères, dans une des excursions dirigées par M. Ficheur, la singulière analogie de faciès entre certains terrains dolomitiques, argileux et gypseux, rapportés hypothétiquement à l'Eocène, et le Trias classique de la ProAT ence. On lui dit que, dans les terrains en question, un jeune professeur, M. Goux, a récemment trouvé quelques fossiles. Marcel Bertrand demande aussitôt à voir ces fossiles, et il entraîne la Société au Lycée de Constantine où ils ont été déposés. Les fossiles sont des Myophories certaines, qui démontrent l'âge triasique et prouvent que les analogies de faciès avec le Trias provençal n'étaient pas trompeuses. Mais Marcel Bertrand ne se contente pas pour si peu. 11 décide un grand nombre des géologues présents à l'accompagner jusqu'au gisement môme des Myophories, et là, dans cette promenade au Chettaba, devant l'amplitude que prennent les affleurements triasiques et devant l'étrangeté de leurs relations avec les autres terrains, il se laisse aller à pronostiquer la grande extension du Trias dans toute l'Algérie et dans toute la Tunisie, à prédire que l'immense majorité des gisements de gypse et tous les gisements d'ophite de l'Afrique septentrionale seront bientôt réputés triasiques, à annoncer enfin que

MARCBL BERTRAND

303

l'Algérie et la Tunisie sont,, contrairement à l'opinion courante,, des pays de tectonique très compliquée. Toutes ces prédictions se sont réalisées à la lettre. Le Trias a, dans l'Afrique du Nord, un énorme développement; et, comme il vient, indifféremment au contact de tous les étages du Crétacé,, et même quelquefois au contact de l'Eocène, c'est un problème tectonique, naguère insoupçonné, et d'une ampleur déconcertante, qui. se dresse maintenant devant les géologues. L'intervention fortuite et momentanée de Marcel Bertrand dans la géologie; de cette contrée a été le signal du renouvellement presque complet des idées que l'on s'en était faites; et c'est ainsi que cet homme ne peut toucher, même négligemment, à aucun sujet, sans l'éclairer d'une lumière nouvelle, tellement vive que, à côté d'elle, les anciennes façons d'expliquer et de comprendre font l'effet de : la. pauvre flamme fuligineuse d'une lampe de mine brusquement transportée dans le grand jour extérieur. Au commencement de l'été de 1897, nous le retrouvons dans les Alpes bernoises-, explorant, en compagnie de M. Colliez, la zone de contact des liantes Alpes calcaires de l'Oberland et des chaînons schisteux qui les bordent au nord. Le problème .qui se pose ici est. analogue à celui que M. Schardt, cinq ans auparavant, a posé dans les Préalpes : la région schisteuse, sous laquelle, le plus souvent, les calcaires de la haute chaîne s'enfoncent, a-t-elle ou n'a-t-elle pas de racines? Ou encore, pour parler comme on parlera plus tard, le bord septentrional de l'Oberland bernois est-il, ou non, pays de nappes? Personne jusqu'ici n'a énoncé la question d'une façon aussi précise ; personne surtout n'a vu jusqu'où elle porte, et à quel point elle se confond avec la question du pli, unique ou double, de Glaris. Après quelques semaines de courses, Marcel Bertrand est convaincu. La région schisteuse n'a pas de racines ; et cela entraîne, sinon néces-