Annales des Mines (1896, série 9, volume 9) [Image 120]

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SUR LES MINES DE RANCI É

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ÉTUDE ADMINISTRATIVE

contrepoids unie à la ,peursuite naturelle, légitime du gain, mais sans l'idée élevée des devoirs qu'il impose, avaient fini par faire des magasiniers la plaie de Rancie. A l'heure qu'il est, grâce à la toute récente réorganisation de l'affaire, ils n'existent plus qu'à l'état de mauvais souvenir. Il n'est que juste de montrer qu'ils étaient inévitables.

Les stipulations du règlement relatiV es à la vente du minerai n'ont jamais été appliquées et ne pouvaient pas Les articles 78 et suivants du règlement de 1883, qui stipulent formellement la vente et le paiement argent comptant,_par les muletiers,-du minerai sur le carreau de

la mine; n'ont jamais été qu'une lettre morte, et il. ne pouvait en être autrement. Comment-les maitres de forge

auraient-ils pu s'astreindre à une pareille sujétion pour prendre livraison? Il devait donc s'établir des dépôts de minerai servant d'intermédiaire et de magasins, oit le maître de forge venait s'alimenter, quand et comme bon lui semblait. Établis à Cabre, hameau de Vicdessos situé au pied du chemiii muletier rejoignant la grande route, ils livraient aux consommateurs les quantités demandées, et c'est à eux exclusivement que le mineur vendait son minerai. Que devenait dans cette double transaction le prix annuel soigneusement établi par la commission ad hoc

(art. 76)? Si l'on réfléchit que, comme dans tous les pays reculés surtout, certains commerçants débitent de tout, notamment les objets de première nécessité (blé, farine, sel, morue, avoine, vêtements, etc.), on comprend que peu à peu l'imprévoyant mineur ne pouvait manquer

de s'endetter, qu'un client endetté est un débouché naturel pour les denrées plus ou moins avariées ; et l'on se rend compte de la masse de haine, longuement amassée dans l'esprit de la population, contre la caste des intermédiaires. « Les dettes du seul village de Goulier dépassent

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de beaucoup », dit François, en 1843, « la valeur de tous les meubles et immeubles qui le composent. » Il y a là, il faut bien le dire, un, côté extrêmement douloureux du passé. Mais, qu'il me soit permis de le dire, lorsque François a cité aussi comme cause de la misère « le désordre, , l'esprit de chicane, l'intem-

pérance » des mineurs, il en a dit trop, ou trop peu. Il fallait faire un pas de plus dans la recherche des responsabilités; il fallait se demander si la cause même de ces vices, à les supposer bien constatés, n'était pas la funeste. concession de Roger-Bernard. Ce phénomène est vraiment

particulier, de voir au milieu de populations de même race, soumises aux mêmes influences de climat et de' milieu, quelques points moralement contaminés coïncidant

avec une circonstance spéciale. La relation de cause à effet s'en déduit invinciblement, surtout quand l'expérience

dure depuis au moins six siècles. Il a toujours été plus commode et plus lucratif, en somme, d'aller passer cinq à six heures dans la mine, au chaud l'hiver, au frais l'été,

que de peiner aux intempéries et de se livrer, quand le moment est venu, aux travaux des- champs, de l'aube à la nuit serrée. La terre marâtre de la montagne a été délaissée; elle ne donne un peu (l'argent, quand elle en donne, que chaque armée après la récolte ;. dans l'intervalle, il faut vivre de privations. Le mineur, lui, était payé comptant; et il en profitait. L'Office des Mineurs a été l'aristocratie de la vallée ; comme toutes les aristocraties que ne soutient pas l'habitude de grands devoirs et quels

grands devoirs les mineurs auraient-ils eu à remplir ? elle n'a pas tardé à se Corrompre, la facilité de satisfaire ses passions étant un puissant excitant pour s'y livrer. De là à devenir pour continuer la comparaison une aristocratie besogneuse, finalement la proie de ses banquiers, il n'y avait pas loin, et, toutes proportions

gardées, c'était un phénomène économique connu sur de