Annales des Mines (1878, série 7, volume 13) [Image 126]

Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.

258

ÉLOGE DE GABRIEL LAMÉ.

cette école aux ordres de ses chefs, en même temps qu'elle mérite une prompte répression et un exemple pour l'avenir, vient de nous prouver que ces élèves, s'ils étaient introduits 1.111[1

4

dans les services publics, y porteraient l'esprit d'indiscipline dont ils sont animés. » Les feuilles publiques, aujourd'hui, jugeraient une telle mesure de très-haut, en bien ou en mal, suivant leurs passions, leurs préjugés et surtout leur drapeau ; précaution nécessaire pour les unes et acte de sage prudence, elle serait, pour les autres, une brutalité sans excuse. On s'exprimait moins librement en 1816 ; les journaux du temps publient le décret de dissolution sans commentaire. Une courte brochure, dont l'exemplaire déposé à la Bibliothèque nationale est peut-être unique aujourd'hui, salue comme un bienfait la suppression de l'École polytechnique. Le fougueux auteur, qui, s'il faut en croire le Dictionnaire des Anonymes, serait l'abbé de Lamennais,

applaudit vivement à une mesure qui, « en attestant la gravité du mal, y applique le seul remède véritablement efficace ».

Le professeur de littérature était alors un poète aimable,

dont la parole sans fiel, mais non sans malice, a, dans cette salle même, charmé plus d'une fois les esprits délicats. Son éminent successeur a pu dire de lui, sans rien sacrifier aux traditions de courtoisie académique : m'est doux d'avoir à louer devant vous un prédécesseur homme d'esprit et de bien, homme de lettres véritable, que notre puissante Révolution saisit un instant, emporta

au milieu des orages, pour le déposer pur et irréprochable dans un asile tranquille, où il enseigna utilement

Il

li

la jeunesse. » Andrieux, en effet, au milieu des orages de la Révolution, avait accepté et rempli dignement un très-modeste rôle. L'auteur de la brochure, qui s'en souvient , le poursuit jusque dans l'asile où , pour délasser utilement

ÉLOGE DE GABRIEL LAMÉ.

259

une jeunesse studieuse, il commenta Corneille et Molière avec admiration, Jean-Jacques avec sympathie et Voltaire

sans indignation. Son zèle amer le fait responsable de tout le mal, sans oser toutefois, car sa plume s'y refuse, transcrire les dégoûtants blasphèmes dont le bon An-

drieux n'a pas rougi de salir toutes les pages de ses

livres, espérant « que l'École polytechique , organisée dans un nouvel esprit, offrira désormais à l'État, au roi à la religion, aux moeurs, une garantie plus rassurante que l'influence d'un rimailleur philosophe ou d'un philo-

plie rimailleur » . Andrieux était un sage, sa douce philosophie méprisait les injures et ce grossier langage ne lui inspira pas même une épigramme. Lamé fut moins patient ; prenant en main la cause de son école, il voulut, par le rapide tableau d'un

passé déjà glorieux, confondre le calomniateur. La brochure qu'il composa fut jugée dangereuse et saisie. La Bibliothèque royale elle-même n'en reçut pas d'exemplaire et les premières épreuves, conservées par la famille, sont aujourd'hui tout ce 'qui en reste. Les censeurs, heureusement pour eux, ne travaillent pas pour la postérité ; elle aurait eu quelque peine à comprendre leur rigueur pour la première oeuvre d'un esprit très-brillant et très-fin, fort attentif déjà à garder la mesure et incapable d'oublier la prudence. Les six mois qui suivirent le licenciement furent, pour Lamé, pleins d'inquiétudes et d'angoisses. L'avenir, assuré la veille, devenait tout à coup incertain et précaire il fallait gagner sa vie, et la situation de sa famille rendait tout délai insupportable. « j'ai pleuré, écrit-il à la première page d'un journal régulièrement tenu du 15 août au 14, octobre 18i 6, j'ai pleuré mes espérances entièrement déçues. » Il court chez ses anciens maîtres, pour demander aide et conseil. On lui propose la place de secrétaire d'un sous-préfet ; mais il faut .de la discrétion et, en toute matière, des opinions